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Critique de latina


Ne comptez pas sur moi pour vous donner une leçon d'Histoire ! Je suis prof, d'accord, mais de français.

Sachez juste que cet excellent écrivain nous a conté par le biais de sa narratrice Eugenia l'histoire de la Roumanie de 1935 à 1945 : les multiples revirements des hommes au pouvoir, les tergiversations du roi Carol II qui cédera sa place, les périodes de semi-dictature et les temps où la liberté est là, et puis le début de la guerre avec la Roumanie comme alliée presque forcée de l'Allemagne, le combat contre les Russes, puis avec les Russes. Il semble que les Roumains n'ont jamais su où se placer exactement.
Mais Lionel Duroy, à travers sa narratrice, porte surtout son attention sur les Juifs, notamment par l'amour infini que porte Eugenia à un grand écrivain roumain et juif : Mihail Sebastian.

Cette « question juive », dans ce roman détaillé, est décortiquée, analysée jusqu'au tréfonds.
« de tous les peuples d'Europe, les Roumains, si fiers de leur sang, sont ceux qui haïssent le plus les juifs. Pourquoi ? Que viennent toucher les juifs de si douloureux dans le coeur des Roumains ? »
« Qui rejetons-nous quand nous rejetons un Juif ? Ne serait-ce pas une part de nous-mêmes que nous lui prêtons malgré lui ? Comme si, au fil des siècles, nous avions pris pour habitude de porter au crédit des juifs tout ce que nous n'aimons pas en nous, tout ce que nous voudrions détruire en nous. Comme s'il nous avait fallu désigner un bouc émissaire pour, en quelque sorte, nous délester de notre part sombre ».

Cette question est universelle parce que le lecteur se sent touché : pourquoi éprouvons-nous de la haine envers quelqu'un au point de le rejeter ?

Comment réagir face au traitement inhumain que supportent les Juifs ? La narratrice est horrifiée par le pogrom de Jassy (en 1942) où les Juifs sont pourchassés comme des chiens et tués à bout portant dans les rues, hommes, femmes, enfants, vieillards.
Et en même temps, Eugenia veut comprendre. Ses fréquentations l'amènent à contenir sa révolte pour s'interroger.
« En nous laissant guider par notre indignation, nous l'avons empêché de développer son point de vue. Songez à ce que nous avons raté ! »
« On parachève la rupture en prêtant à l'autre les sentiments les plus méprisables et les mieux à même d'éveiller la haine ».

Jamais il n'y a dichotomie, tout est dans la complexité. C'est d'ailleurs pour cela qu'Eugenia a quitté son emploi de journaliste.
« le journalisme est impuissant à rendre compte de notre incroyable complexité car ce qu'on devine d'une personne n'est pas considéré comme une information.
(...)
Je ne peux réduire ces hommes à leur inhumanité, je dois dire aussi de quelle façon ils sourient à leur femme, avec quelle tendresse ils caressent les cheveux de leurs enfants, car sinon ce serait feindre de les comprendre alors qu'en vérité ils nous confrontent à quelque chose d'inexplicable.
(...)
Il faut cesser de poser des questions et s'introduire dans l'intimité des gens, bourreaux et victimes, les écouter parler, ne pas les interrompre, ne pas les contredire surtout, acquiescer silencieusement à tout ce qu'ils disent. C'est notre seul espoir pour saisir un peu de notre complexité ».

Je pourrais encore recopier une infinité de passages, mais j'ai pitié de vous, et d'ailleurs, ce n'est pas un cours que je veux donner, c'est un ressenti.
Je le résume tout net : j'adore plonger dans les racines des faits, dans la profondeur des êtres. Et ici, j'ai été servie, et bien servie ! La lecture s'est opérée très lentement, car tout a une importance.
Si les faits historiques sont bien décortiqués, c'est surtout la réaction des gens qui m'intéresse, que ce soit des bourreaux, des victimes, ou de l'héroïne. Les écrivains aussi font partie de l'histoire, comme Malaparte, l'ambigu, ou Mircea Eliade, le beaucoup moins ambigu !
J'ai découvert le sombre écrivain Mihail Sebastian à travers les nombreux passages de son Journal et de son roman « Depuis deux mille ans », cités par Eugenia, la femme qui l'aime, et non la femme qu'il aime.

Je vous conseille donc, pour connaitre les faits précis, de vous reporter à une autre critique de Babelio que la mienne, mais en attendant, je ne peux que vous inciter à lire ce roman qui nous interpelle en tant qu'humains et qui nous cogne à la vie.
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