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Critique de colka


Eugenia de Lionel Duroy m'a permis de découvrir un pan de l'histoire de la Seconde guerre mondiale que je connaissais mal, avec le rôle joué par la Roumanie dans ce grand conflit du XXème siècle. A travers le personnage central de Eugenia c'est toute l'histoire de la Roumanie qui défile sous nos yeux, non seulement avec la violence du fascisme et l'évocation des pogroms de Bucarest et de Jassy, mais aussi avec l'évocation des tergiversations, des revirements, des lâchetés ou compromis auxquels va être confrontée une partie de l'élite intellectuelle à laquelle appartient Eugenia et son compagnon Mihail Sebastian, écrivain et dramaturge juif roumain qui a vraiment existé.
L'habilité de Lionel Duroy est d'ailleurs de mêler les faits historiques et fictionnels dans un entrelacs qui donne à voir, à sentir l'ambiance de cette époque tourmentée, avec la complexité des liens qui vont se tisser dans les milieux intellectuels, notamment chez certains écrivains comme Mircea Eliade ou Cioran. Fascinés par le fascisme ils continuent néanmoins à se prétendre les amis de Mihail ... Et même -ô ironie du sort- ceux qui comme le prince et la princesse Bibesco se déclarent résolument antifascistes, le font au nom d'une vision déformée de l'identité juive et d'un cynisme dûment assumé quant à leur vision de l'humanité.
Ces deux personnages appartenant à une aristocratie qui va être balayée par le vent de l'Histoire ne sont pas les deux seuls à donner l'impression d'une danse au bord du volcan. du printemps 1939 jusqu'à la déclaration officielle de l'entrée en guerre de la Roumanie aux côtés d'Hitler, c'est une ambiance de fêtes débridées qui règne à Bucarest, très bien rendue, entre autres, avec l'évocation du personnage de Leny Caler, actrice juive et aussi prototype de la "bouffeuse de vie" pourtant prête à sauter dans le vide. Tous les personnages du roman d'ailleurs sont une porte d'entrée pour la thématique qui m'a le plus accrochée, à savoir : comment faire face à l'inacceptable ?
Chacun a sa réponse et elle est parfois complexe comme c'est le cas pour Mihail qui écrit"jour et nuit pour ne pas oublier" et en même temps s'offre comme victime sacrificielle. Plus cohérente est la position de Eugenia, qui a bien des égards, me semble être un clone de l'auteur, avec son goût immodéré de la liberté de penser et de dire sans devenir "le petit soldat d'une cause...". A l'opposé de l'engagement de Eugenia, l'hédonisme affiché du consul italien Sartori qui revendique le droit d'aller "pêcher le rouget dans la baie de Naples" au nom d'un pessimisme désabusé.
Un personnage réel m'a particulièrement intéressé, celui de Curzio Malaparte dont le roman permet de percevoir toute l'ambiguïté avec l'évocation du pogrom de Jassy dans le Corriere della Serra, journal italien et dans le livre le plus emblématique de l'auteur, Kaputt paru en 1944. Mêmes faits, deux récits écrits à deux époques différentes. le premier, mensonger. le second , véritable réquisitoire contre les horreurs des massacres perpétrés à Jassy. Celui qui fut à la fois correspondant de guerre pendant la Seconde guerre mondiale sur le front de l'Est et en même temps écrivain, est présenté dans le roman sans jugement mais avec tous les questionnements auxquels peuvent renvoyer ses contradictions...
Ce que j'ai aimé, c'est que ce roman est une grande fresque historique dans laquelle chacune ou chacun peut choisir sa porte d'entrée. Et j'ai le sentiment d'en avoir choisi une un peu particulière...
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