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Critique de colimasson


Difficile d'en vouloir aux braves qui veulent transmettre ce qu'ils ont compris de l'inconnu. Encore tous frais et jeunes chiots dans leur connaissance, ils préparent leur picotin avec des ingrédients pas assez mûrs et le font cuire au four à micro-ondes. C'est chaud rapidement mais ça ne dure pas longtemps.


Aucun doute que Lawrence Durrell a senti son âme palpiter après avoir reçu la visite de Jolan Chang, un érudit venu droit de Chine pour lui enseigner les rudiments du taoïsme. Il y a là quelque chose qui s'éveille en lui, en témoigne le besoin immédiat d'écrire un bouquin pour en instruire le monde entier. On croyait pourtant que l'initiation représentait le parcours d'une vie. Pourrait-elle en fait se résumer à une rencontre de trois jours avec un moine taoïste (surtout lorsque celui-ci s'abaisse finalement à obtempérer aux moeurs occidentales avec un plaisir honteux, quoiqu'encore pudique : c'est qu'il ne faudrait pas détériorer immédiatement l'affirmation de supériorité orientale) ? Dans la seconde partie du livre, le moine dégage, vite fait remplacé par une jolie pépée qui s'intéresse à Nietzsche avant de se dessaper pour une partie de sexe tantrique qui s'étend toute la nuit (mais monsieur ne s'intéressait qu'au bleu outremer dans le regard tantrique de sa partenaire).


Cet empressement à balancer l'expérience paraît drôle mais je vous assure qu'il n'y a pas beaucoup d'humour dans ce témoignage d'illumination. Si Lawrence Durrell avait assumé pleinement le côté déconnade de son récit, on aurait ri avec lui de ses considérations sur le sexe envisagé du point de vue du taoïsme. Première étape : je m'instruis auprès du moine taoïste –ces hommes-là sont bien supérieurs à nous parce qu'ils ne considèrent rien dans la perspective de l'utilitarisme. Deuxième étape : j'utilise les acquis de cette rencontre pour m'inscrire mieux et plus efficacement sur le marché de la consommation sexuelle –en m'inscrivant toutefois comme avant-gardiste sexuel, non-plus homme de la jouissance immédiate mais toujours reportée, toujours prolongée, maintenue jusqu'à l'épuisement du désir. Durrell fanfaronne comme un adolescent maladroit qui aurait réussi, pour la première fois, à faire jouir sa partenaire. Il insiste que l'amour ne doit pas être considéré comme une compétition entre deux individus mais on retombe dans la valeur marchande de la collectionnite lorsqu'il conclut sa démonstration par cet exemple éloquent : « Chang lui-même avait adopté cette très ancienne technique. Il se limitait à un seul orgasme pour une centaine de rencontres amoureuses et réussissait à faire l'amour avec plusieurs femmes dans la même journée ! »


A côté du bien-baiser, Durrell s'instruit également du bien-boire et du bien-manger. le taoïsme, visant à accomplir l'immortalité terrestre, souligne l'importance d'un régime ascétique agrémenté de quelques breuvages aux bonnes plantes de la pharmacopée… asiatique. Durrell, jusqu'alors du genre alcoolique, se descendant jusqu'à deux bonnes bouteilles de rouge bordeaux par jour, s'émerveille de sa rencontre avec l'homme frustre. Les récits de leurs dinettes s'étendent sur plusieurs pages au cours desquelles Durrell se montre de plus en plus moralisateur, heureux de bien-manger et bien-boire par fierté narcissique seule.


Durrell ! Tu semblais pourtant avoir compris qu'il y a des choses qu'on ne peut pas vraiment expliquer littéralement. Tu écris : « C'est ça le taoïsme, et dès que l'on tente de l'expliciter, on l'abîme ; comme un papillon rare que l'on essaierait d'attraper avec les doigts ». Et aussitôt, tu te sens obligé de tout faire foirer en ajoutant : « L'on est ici dans le domaine du ni-ceci - ni-cela des Indiens », et les ailes du papillon se cabossent. Je pense malheuresement à Frédéric Lenoir en lisant ce Sourire du Tao, sans doute parce lui comme l'autre se ressemblent dans mes souvenirs, m'ayant tous les deux fait goûter d'un plat corrompu, tous les plus fins ingrédients brûlés vifs par les micro-ondes, emballé sous-vide et recouvert d'une étiquette rigolante où un personnage, dans une petite bulle, te racole : « Viens, on s'amuse trop avec moi ! ». Ce qui n'est même pas vrai.
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