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Citations sur Du sang sur le miroir (12)

J’ai lu ce livre à Bordeaux. C’est un récit qui nous plonge dans les eaux troubles de la politique : discours hypocrites, promesses creuses, culte du faux, recours aux coups bas, exaltation de la violence et du crime comme méthodes de conservation de l’exercice du pouvoir. C’est aussi une diatribe contre le Quai d’Orsay et l’Élysée, les deux mamelles de la dictature en Afrique francophone. Du sang sur le miroir est vraiment un chef-d’œuvre ! Mais je suis aussi de l’avis qu’il serait beaucoup plus intéressant que l’auteur sorte de l’ombre et se fasse connaître, lui et ses œuvres.
Florence A. Togla
Liège
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Un soir, le général et Dopé se trouvèrent seuls. Il était question d'un document confidentiel, si confidentiel que seul le lit du Guide parut l'endroit approprié pour « la chose ». Et le général Télou de se mettre à nu, et le général Télou de se jeter sur la jeune femme. Dans de pareilles circonstances, le comportement que prescrit le Livre vert de notre Révolution, c’est d’écarter les cuisses et sourire au Guide, ainsi s’offrir en « militante convaincue ». Dopé ! Elle se défendit ! Elle se défendit des poings, se défendit des pieds, se défendit tant et si bien que le président de la République fut soigneusement rossé...
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Et le général Télou se mit au travail. Il s’y tuait. Sa guerre, disait-il, était la paix. Sa bonne foi ne trompa personne. Des hommes, comme le président de la République en tuait ! Des femmes, comme le président de la République en tuait ! Chaque jour du sang jaillissait au Togo. Les exécutions avaient lieu sans aucune forme de procès, mais le général prenait soin de déclarer que c’était dans l’intérêt supérieur de la nation. Le pacifisme du régime Télou s’illustra davantage par les « opérations salvatrices » de l’armée. Ainsi, un homme se promenait-il au clair de lune ? Sitôt pris sitôt fusillé ! Une petite foule dans la rue ? Petite foule éclatée : au canon ! En somme, acharné qu’il fut à « vivifier la nation », le général allait le droit chemin, fidèle à son programme politique fort simple : le fusil !
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Regardez ! Que sont ces choses ? Mais que sont ces étranges bagages qui flottent à la surface de la marée ? Des cadavres ! Oui, c’étaient les dépouilles mortelles repêchées quelques heures plus tôt. À présent, l’un après l'autre, on jetait les cadavres par-dessus les grilles de l'ambassade. Les cadavres, on les jetait ainsi sur le territoire français. On jetait les morts sur la conscience de Paris !
Mais aussitôt ces cadavres étaient rejetés du territoire français, retombant dans la foule enflammée. Paris vomissait nos morts...
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Certes, écœurés de voir du sang sur les mains de l'Élysée, des centaines de Français avaient descendu dans les rues en grognant. Mais aussitôt l'Élysée les avait endormis, en leur jetant aux yeux la poudre fulminante de la raison d'État. Le chef d'État français, alors définissant la politique étrangère de la France, en substance avait déclaré qu' « à la façon d'un obus qui jaillit en balayant tout sur son passage, la France, par bataillons, par régiments, n'hésitera jamais à surgir n'importe où l'appelle son destin, quitte à labourer tout devant elle, à grands sillons que seul abreuvera l'impur sang des importuns ».

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Midi. Plus personne dans les rues. Silence total. Du sang partout répandu, odeur de mort partout répandue : hommes tués, femmes tuées, adolescents tués, tous hachés par l'artillerie, l’artillerie nationale s’entend. L'armée, notre armée, elle, auréolée de gloire, avait déjà regagné sa caserne.
Ce jour-là même, en Afrique et partout ailleurs ces événements éclaboussèrent les écrans de télévision, soulevant le monde entier. Alors les grandes puissances, y compris la France, se courroucèrent contre le général Télou. Néanmoins la France, elle, mit de l'eau dans son courroux. Le Quai d’Orsay, sérénissime, avait déclaré : « Les tiraillements dont Lomé vient d'être le théâtre, à proprement parler, ne sont que les errances d'un jeune État qui se cherche et qui, dans son désarroi, se plaît à dévorer ses propres enfants. Mais nous craignons le pire et, avouons-le, notre passivité serait aussi bien intolérable que hautement coupable, si le pire venait d’en être la conséquence. C'est pourquoi, dans la perspective d'un règlement consensuel de cette crise, sans toutefois nous ingérer dans les affaires intérieures d'un État souverain, ce soir même nous allons faire des propositions concrètes au général Télou. » Cela fut fait.

‘‘Paris, le 30 novembre 19 ...
Très cher ami, nos hommages. Tiens bon ! Néanmoins, tu te dois de rompre le silence en criant ta volonté de dialoguer « sincèrement » avec l’opposition. Et si jamais s'amènent ces crétins, eh bien, dialoguez. Mais attention ! Le dernier mot, c’est le nôtre. Une fois encore, nos hommages...’’
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Point de doute, maintenant la plus grande menace de sa vie, c'est la France. Sans la rupture entre Paris et Lomé, point de salut pour lui. Mais comment s’y prendre pour brouiller de nouveau Paris et Lomé ? Et voici qu’une petite idée tomba dans son esprit : rencontrer le général Télou dans l’immédiat et lui révéler tout des élections frauduleuses que le gouvernement français et lui Kodjo mijotaient à son détriment... Mais il grimaça, dégoûté par cette idée qui lui parut stupide et suicidaire. Bien sûr, à la machette le président de la République effriterait l'ambassadeur de France, mais lui Kodjo ne s'en sortirait vivant non plus. Il connaissait bien le principe. Une faute avouée volontairement au Guide est à moitié pardonnée, conformément à la philosophie de notre Révolution : deux balles dans la nuque, au lieu de quatre...
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Kodjo, surtout lui, fut soulagé, aussi bien soulagé que convaincu, oui, définitivement convaincu de l’ascendant de Paris sur le puissant général Télou. Il se demanda, émerveillé, par quels mots Paris avait arraché le consentement du Guide. Au fond, Paris n'avait écrit que des mots simples :

‘‘Paris, le 5 décembre 19...
Cher ami, les crétins mijotent de négocier publiquement avec toi ce qu'ils appellent restauration de la légalité républicaine . Nous le savons de sources concordantes et dignes de foi. Aussi tenons-nous à te signifier qu’il est vraiment de notre intérêt de les rencontrer maintenant et, surtout, d’accepter tout en bloc. Car jamais occasion ne sera plus belle pour nous débarrasser de ces ordures.’’
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D'ailleurs, il finit par s’en inquiéter, et de là le message qu’il fit écrire et qu’il envoya d’urgence au chef d’État français :

‘‘Kodjo grandit dans des proportions effrayantes. C’est dire que si vous persistez à le conserver vivant, je crains qu’il devienne un éléphant comme moi. Et figurez-vous deux éléphants pour un petit pays comme le Togo : c’est trop !’’

Bien sûr, par une dizaine de mots l’Élysée rassura le Guide :

‘‘Petit Kodjo deviendra grand, pourvu que la France lui prête vie ...’’

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Et pour grand événement, c'en était vraiment un : le Sommet Franco-africain. Cette année-là, le sommet, à proprement parler, n’était rien que l’épilogue des « travaux » de Baule.
Oui, officiellement, c’était pour débattre des « problèmes brûlants de l’heure ». Mais en réalité, il était question du miroir aux alouettes. À huis clos, le chef d’État français devait évaluer les performances de ses poulains. Cela fut fait. C’est ainsi que le chef d’État français félicita vivement les présidents Burkinabè, Camerounais, Congolais, Gabonais, Sénégalais et Togolais pour avoir manié le miroir à merveille, accomplissant ainsi, dit-il, « l’exploit de réconcilier, d’une part, dynastie et république, et, d’autre part, autocratie et démocratie, faisant de cette double fusion les deux mamelles d’une Afrique française, et docile, et serviable, et éternelle ».
Kodjo n'avait d'yeux que pour l'écran. Le sommet tirait à sa fin. Avant lecture du communiqué final, c'était la pause. Sur le podium, au premier rang, le chef d'État français, dans un excès de bonne volonté, souriait au vide. Assis à côté de lui, le général Télou, comme chaque fois qu'il se trouvait en face des caméras de télévision, dodelinait lentement de la tête, faisant un air paisible et bienveillant. Occupaient la seconde rangée, d'autres chefs d'État, répartis en deux groupes. D'une part des hommes sereins, élégants, des gentlemen, ceux-là, démocratiquement élus au suffrage universel dans leurs pays respectifs. D'autre part des individus débraillés et nerveux, un ramassis de soldats aux profils de brigands : des Hommes forts !
Tantôt, occupa tout l'écran, le ministre malien des Affaires étrangères. Faisant office de rapporteur, il se mit à lire le communiqué final qui sanctionnait ainsi la fin des travaux. D'abord, concernant les « questions de pure forme », le communiqué fit entendre que les chefs d'État présents au sommet congratulaient les autorités togolaises « pour avoir fait du sommet, des retrouvailles familiales ». Ensuite, abordant « les questions de fond », l'orateur fit entendre ceci :

« Avec le recul nécessaire, le chef d'État français et ses pairs africains, en parfaite communion, et en parfaite symbiose, ont fait le tour d'horizon des problèmes brûlants de l'heure.
Bien sûr, point besoin de le souligner, soucieux du bien-être de leurs populations respectives, ils se sont penchés sur ces problèmes et, sans esprit de fête, se sont attelés à trouver sur-le-champ les remèdes appropriés ; entendez par-là des remèdes à court terme qui, lentement mais sûrement, tiendront lieu de remèdes à long terme, et tous azimuts.
Les débats, empreints non seulement de vérité mais aussi de franchise et surtout de sincérité, ont suscité l'émergence de divers points de vue ; diversité dans l'unité, c'est-à-dire une diversité non seulement arrosée par un esprit commun, mais aussi charriée par un seul et unique courant de pensée. Ces points de vue ont, comme il fallait s'y attendre, généré mille et une suggestions, des suggestions fort intéressantes aussi bien dans leur conception que dans leur formulation.
Et dans cet élan de positivisme, enrichi d’un réalisme greffé sur le naturel, nos chefs d'État se réjouissent que ces suggestions aient permis de dégager des solutions révolutionnaires. C’est pourquoi, à l’émerveillement de tous, au fur et à mesure que les solutions ainsi préconisées rendaient les inquiétudes de plus en plus solubles, de moins en moins problématiques devenaient les problèmes. Alors, dans cette atmosphère combien féconde, rien d’étonnant que ces assises aient accouché de la plate-forme d'un plan d'action rapide. Ce plan, homogène tant au point de vue de la forme que du fond, la plupart, pour ne pas dire tous, oui, tous se sont accordés à le considérer comme la meilleure approche de solution finale, autrement dit, l’intense lumière à l’ombre de laquelle les pays francophones d’Afrique aborderont, non seulement avec plus de sérénité, mais surtout dans une vision globale de leur complexité, les problèmes. »

Et les murs faillirent s'écrouler sous les applaudissements nourris qui saluèrent ainsi « le succès des travaux ».
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