Je remercie les Éditions Bayard et Babelio pour leur invitation à découvrir ce roman dans le cadre d'une masse critique privilégiée dédiée à la littérature jeunesse. C'est la deuxième fois que je suis sélectionnée pour ce type d'opération (cf. «
Four Dead Queens » d'
Astrid Scholte paru chez Casterman, chronique du 14 juin 2020) afin de faire part de mes impressions sur un page-turner américain.
Toujours très honorée et super stressée aussi en raison d'un délai – de 30 jours –, à la fois court et long selon le point de vue... je suis néanmoins venue à bout de ce pavé (430 pages) dans les délais. Ouf !
Conformément à sa fonction de « page-turner », le livre fait son job, on ne voit pas le temps passer tant l'écriture nous entraîne dans de multiples rebondissements.
Par ailleurs, au cours de ma lecture, j'ai pu voir des originalités à plus d'un titre (même si celui-ci est resté en V.O.). Tout d'abord, l'ouvrage est le fruit d'un travail collectif. Il y a ainsi un auteur principal, en l'occurrence
Val Emmich, lequel s'est entouré de trois collaborateurs. Un bel exemple de travail d'équipe. Ensuite, on apprend dans les remerciements, à la fin du livre donc, que l'histoire est tirée d'une comédie musicale. Et, quand on arrive à la dernière ligne, il reste en effet comme une petite musique dans la tête d'autant que l'un des personnages est également musicien (musicienne pour être plus précise) et s'adonne même à la composition…
Mais c'est sur le plan de l'introspection que le livre va assez loin, le personnage principal est effectivement très travaillé, on se trouve en empathie avec lui. Sa détresse est touchante, on perçoit ses failles, ses doutes, ses craintes et son besoin d'exister à un âge où tout se construit. En effet, Evan est un lycéen de nature (très) anxieuse, qui frise la phobie sociale. Solitaire, introverti, il aurait plus tendance à longer les murs qu'à vouloir se mettre en avant. Un trou de souris serait à sa mesure. de plus, sa vie familiale est pour le moins chaotique. Élevé par une mère dévouée qui a à coeur de vouloir améliorer l'ordinaire en poursuivant ses études, celle-ci se retrouve le plus souvent débordée car elle doit aussi mener de front son métier d'infirmière. Pour couronner le tout, sa génitrice multiplie les maladresses et n'entrevoit que le recours à un psy pour aider son fils. Son père est quant à lui indifférent à ce que devient Evan, d'autant qu'il a refait sa vie à l'autre bout du pays et semble à présent bien plus soucieux de son nouveau foyer.
L'analyste d'Evan entreprend alors un travail pour libérer son jeune patient de ses angoisses : outre la prescriptions de médicaments, il incite le jeune homme à s'adresser des lettres à lui-même en vue de vivifier son estime de soi. Même si l'intéressé voit dans cette béquille émotionnelle davantage une corvée qu'un exutoire miraculeux censé tout résoudre, il se plie de bonne grâce à l'exercice pour complaire à son entourage. Faire ce qu'on attend de lui sans moufter, voilà ce qui définit Evan.
Seulement le diable va s'en mêler… Un concours de circonstances fait qu'une lettre qu'Evan s'était écrite est dérobée par Connor, un autre lycéen. On apprend vite que ce dernier avait de très gros problèmes puisqu'il se suicide très peu de temps après. Coup de théâtre : on retrouve la lettre d'Evan sur le corps de Connor. Les apparences racontent une autre histoire et il n'en faut pas moins pour en déduire qu'Evan et Connor étaient les meilleurs amis du monde. La famille du suicidé cherche à en savoir plus. de fil en aiguille, de quiproquos en quiproquos, Evan s'enferre dans ses mensonges pour ne pas faire de peine autour de lui. Dans le même temps, sa vie change du tout au tout. Les projecteurs sont à présent braqués sur lui, il devient populaire et réussit même à charmer la jeune soeur de Connor dont il était (justement) et secrètement amoureux.
Le récit montre comment à partir d'un mensonge, l'affaire va prendre des proportions dantesques avec le renfort des technologies d'aujourd'hui : réseaux sociaux, Internet etc. Jusqu'au dénouement, on se demande si la vérité finira par éclater… Et surtout comment. le pauvre Evan en vient même à regretter sa vie d'avant tant sa conscience le tourmente. Sur le plan de la construction de l'intrigue, les chapitres font alterner les états d'âme d'Evan avec l'errance post mortem de Connor. On subodore ici que les collaborateurs de
Val Emmich ont rédigé (ou l'ont aidé à le faire) les passages consacrés à Connor. Même si la transition d'un personnage à l'autre se fait sans heurts, on perçoit toutefois une différence de style. Rien de gênant, le stratagème fonctionne et donnerait plutôt un certain rythme à l'ensemble en mettant en évidence les occasions manquées. Ainsi, en d'autres circonstances, on se dit qu'Evan et Connor auraient VRAIMENT pu être amis, si le destin en avait décidé autrement car les deux garçons ont, chacun à sa manière, beaucoup en commun.
D'autre part, certains détails soulignent les outrances typiques de la société américaine ; rien d'anormal, par exemple, de voir un lycéen rouler en SUV alors que, quiconque s'étant un tant soit peu frotté à la dure réalité, n'ignore rien de la difficulté à pouvoir s'offrir ne serait-ce qu'une roue d'un engin pareil même en travaillant pendant des années. Idem, se gaver dès le plus jeune âge de tranquillisants qui assommeraient un cheval relève de la banalité ; ceci dit, cet état de fait tend hélas à aussi entrer dans les moeurs de bien des pays, y compris le nôtre.
In fine, le message de l'histoire, qui aborde un sujet grave sous des dehors légers, vise la prévention du suicide, en particulier chez les adolescents. Un fléau dont les racines sont tentaculaires, allant des difficultés relationnelles et familiales au harcèlement, scolaire ou pas d'ailleurs, qu'amplifie l'impact des réseaux sociaux.
Conclusion : un bon moment de lecture destiné à éveiller les consciences.
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