Jesse Custer a été séparé de Tulip O'Hare et Proinsias Cassidy. Il a adopté un chien et ses pérégrinations en voiture l'amène dans une petite ville du Texas baptisée Salvation. Cette ville souffre de la mainmise d'Odin Quincannon sur la bourgade. Il est le PDG et le propriétaire d'une usine d'équarrissage située à proximité de Salvation. Grâce à lui et à ses employés, les commerces de Salvation prospèrent. Mais en contrepartie, les habitants et le shérif sont priés de fermer les yeux sur les actes délictueux de ces mêmes employés lorsqu'ils viennent dépenser leur paye le vendredi et le samedi soir. le shérif de ce patelin de 1.628 habitants est plutôt juste et pertinent dans les affaires de tous les jours, mais il a capitulé devant les intérêts supérieurs que représente Quincannon et son usine. Il est rétribué pour fermer les yeux. Jesse Custer débarque en ville et il refuse tout compromis. L'ancien shérif a vite fait de lui confier son étoile et son poste et de partir. Custer va nettoyer la ville à sa manière.
À l'évidence,
Garth Ennis a souhaité écrire son western. Il a écarté son personnage de la route toute tracée (trouver dieu pour le tancer vertement) pour écrire sa variation sur la trame de "un étranger arrive en ville pour rétablir la loi". Pour autant cette histoire s'inscrit bien dans la quête de Jesse Custer : elle permet à Custer de réfléchir sur les valeurs qui le motivent, sur le sens de sa démarche et de consolider sa détermination. Cette histoire fournit aussi et surtout l'occasion à Ennis de développer plusieurs thèmes qu'il affectionne particulièrement : les vétérans de la seconde guerre mondiale, les valeurs fondatrices d'une société, les valeurs de la société américaine, la lâcheté ordinaire, la cruauté ordinaire, le racisme, la bêtise humaine, l'amitié, le courage et l'héroïsme.
Je vous rassure :
Garth Ennis est égal à lui-même. Certes il dispose de plus de pages que d'habitude pour aborder ces sujets, donc les personnages ont droit à des tirades ou des dialogues plus longs que d'habitude, mais l'action et les scènes transgressives font jeu égal (en pagination) avec ces éléments idéologiques. Odin Quincannon figure en bonne place dans le panthéon des ennemis nuisibles et crédibles avec des motivations plausibles. Ennis a pris soin de développer sa psychologie et de doter de 2 traits de caractère outrés, ce qui en fait un individu aussi complexe et horriblement drôle qu'Herr Starr. Dans la mesure où l'action se déroule au Texas, les hommes en cagoule pointue du Ku Klux Klan viennent faire un petit coucou. L'importance du port d'arme dans cet état n'est pas minimisée. Chacun vit pleinement sa passion, à commencer par un grand admirateur d'Hitler et du nazisme.
Garth Ennis n'a en rien changé ses habitudes de provocateur.
Comme dans le tome précédent, la familiarité qui s'est développée entre le lecteur et les personnages sert avant tout à approfondir encore les motivations psychologiques de Jesse Custer. La forme de feuilleton inhérente au format des comics permet à
Garth Ennis de prendre le temps nécessaire pour donner chair à son histoire et à ses personnages en dépassant les clichés pour exposer un vrai point de vue (avec lequel le lecteur a le droit de ne pas être entièrement d'accord).
L'ensemble des épisodes est illustré par
Steve Dillon qui a trouvé sa vitesse de croisière. Il décrit une petite ville des États Unis avec assez de détails pour que le lecteur puisse s'y immerger. Il porte un grand soin à meubler et agencer chaque intérieur de maison de telle sorte à ce que la personnalité de son propriétaire devienne apparente.
Steve Dillon reste le maître des visages qu'on n'oublie pas, que ce soit celui de Jesse Custer ou celui de Cindy Dagget (son adjointe), ou celui d'Odin Qincannon, ou celui de madame Oatlash. Il s'est encore amélioré pour la mise en scène des pages de dialogues. Fini le temps des tête parlante sans changement d'angle de vue, Dillon travaille comme un vrai réalisateur en pensant ses plans sur la longueur pour dynamiser les dialogues, les rendre visuellement intéressant et les mettre en mouvement. Et puis il y a également ces visages si expressifs sans qu'ils soient pour autant outrageusement déformés. J'ai également bien apprécié la retenue dont il fait preuve pour donner une identité graphique au dieu de l'ancien testament et à celui du nouveau testament.
Dans la mesure où le récit est porté par les scènes d'action et les échanges sur la nature de la société, je n'ai aucune honte à avouer que j'ai également beaucoup apprécié les éléments qui s'apparentent plus aux ressorts dramatiques des feuilletons sur le long terme avec le retour attendu du spectre de John Wayne et le retour plus inattendu de plusieurs relations passées de Jesse Custer. Grâce aux talents conjugués d'Ennis et Dillon, cette histoire dépasse le cadre du simple divertissement pour atteindre le niveau de roman (graphique). le tome se clôt sur un épisode relatant les conditions dans lesquelles le père de Jesse a acquis le mérite de se voir décerner la plus haute distinction honorifique militaire des États-Unis. J'ai hâte de retrouver toute l'équipe dans l'antépénultième tome All Hell's A-Coming.