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Critique de mariecesttout


Drych , dans un commentaire sur La honte d'Annie Ernaux, dit qu'il ne comprend pas ce sentiment de honte exprimé par Annie Ernaux. J'ai lu ce livre il y a longtemps, mais je ne crois pas qu'on puisse comprendre vraiment ce qu'est cette honte, qui ressemble , dans ses origines, à celle de Didier Eribon qui lui rend hommage dans ses livres. La honte, c'est toujours devant les autres qu'on l'éprouve, et tout dépend aussi de la façon dont ces autres leur ont fait éprouver. Certains y sont très peu sensibles, et pourtant elle peut faire des ravages dans la construction d'une personnalité . Mais aussi être une énergie . Ici, honte sociale, double honte, appartenir à ce milieu social et le trahir.
Didier Eribon, même combat, donc, mais plus complexe.
Tous deux ont réussi , par le biais de l'instruction ( et quand même d'influences familiales, qu'ils reconnaissent plus ou moins tardivement) à s'extraire du destin de leurs semblables.
Dans cette honte sociale que décrivait Eribon dans Retour à Reims, tout se jouait dans les détails essentiellement culturels, de références qu'il n'avait pas eues enfant . Elles peuvent se rattraper, bien sûr, mais les constater en face des autres qui vous regardent héberlués parce que vous ne connaissez pas tel cinéaste, ne vous habillez pas selon tels critères, n'avez jamais mangé ceci ou cela, ça fout la honte comme diraient mes enfants.
C'est accru chez Didier Eribon du fait de l'époque à laquelle il a décidé ( avec réussite ) de prendre ses distances avec sa famille. Tout est politique et vers 16, 17 ans, il se disait trostkyste, et son père était tout, sauf l'idéal ouvrier qu'il avait dans la tête. Comment dès lors l'intégrer dans ses schémas de pensée? Par contre, le rejet du père de sa sexualité l'a aidé finalement à fuir et à se construire une identité grâce à l'émergence du féminisme et des mouvements gay et lesbien.

Ce complément à Retour à Reims est constitué de deux entretiens et est surtout une réponse, et plus d'explications données, à tous les témoignages reçus.
Il n'y parle pas bien sûr que de cette honte , mais c'est le sujet qui, à titre personnel mais aussi en tant que sociologue, qui le préoccupe le plus; Comment lutter contre cette sectorisation, cette mise à l'écart très rapide notamment dans les parcours scolaires,contre lesquels il est si difficile de lutter.
Il revient aussi sur l"ethnocentrisme de classe des intellectuels", ses propres influences intellectuelles , dont actuellement Judith Butler, en insistant sur les discours dogmatiques de certains, qui peuvent être aussi nocifs que n'importe quel autre discours idéologique.
Sur les ravages du lacanisme , longuement...
" Dans Retour à Reims, j'ai souligné à quel point une approche psychanalytique des processus que je décris dans ce livre reviendrait à les désocialiser et à les dépolitiser. Annie Ernaux remarque dans plusieurs de ses textes qu'elle n'a pas besoin de la psychanalyse , qui lui apporterait des réponses toutes prêtes et trop simples, qui ne rendraient plus compte des phénomènes plus profonds qu'elle essaie de restituer. Or l'analyse sociale qu'elle propose est évidemment beaucoup plus riche, mais aussi plus difficile à affronter: il ne s'agit plus du rapport au père, à la mère, mais des modes de vie des classes sociales, de ce que sont les individus dans la classe sociale qu'elle dépeint, du rapport au système scolaire, du mal-être des transfuges de classe.. L'interprétation en termes psychanalytiques est trop facile, jouée d'avance: le père, la mère, l'Oedipe, bla bla bla.. La psychanalyse singularise ( elle étudie un individu) et universalise ( selon des grilles d'interprétation à validité universelle), alors qu'il est important, au contraire, de désingulariser et en même temps de désuniversaliser les phénomènes pour comprendre la formation historique et sociale des psychismes de manière différentielle selon les classes sociales. Réfléchir en termes sociaux et politiques permet de rendre aux phénomènes une dimension lus profonde et moins rassurante. Je serais tenté de dire: plus noire. Mais c'est de la réalité qu'il s'agit. "

Un excellent complément quand on a lu et apprécié ce Retour à Reims.


Lien : http://bibliobs.nouvelobs.co..
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