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Citations sur Cow-boy (14)

Mathilde était dure mais elle n’était pas rustre. Raffinée, coquette, douce comme peuvent l’être les arrière-grands-mères, joueuse, joyeuse, pétillante. Elle avait exercé sur Marie-Rose, sa fille, et plus encore sur son gendre, « l’Américain », cette sévérité, ce rigorisme que sculptent les vies désossées de plaisir sur lesquelles plane le crucifix.
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Dans ces familles des montagnes, pieuses par instinct de soumission, dures à la tâche, dévouées au travail élevé au rang de valeur morale à condition qu’il soit pénible, on ne dit pas l’amour, on ne prononce pas la grande déclaration qui vibre et fait vibrer, c’est trop difficile à sortir, trop gênant à entendre, trop compliqué à porter. Et ça ne se fait pas. Eugène sent bien quelque chose qui le chatouille subitement au niveau du plexus solaire chaque fois qu’il revoit Marie-Rose, remonte en vagues d’enchantements jusqu’au cerveau, lui procure des ondes chaudes dans tout le corps et lui fait voir le moindre bout de chose comme des bouts de merveilleux, comme des bouts de choses merveilleuses. Mais quand ça arrive à la bouche, il pince les lèvres sans y penser, ça vient tout seul, ce bouchon naturel de mots. Et ça ne sort pas. Bouche bouchée. Ces choses-là ne se disent pas. De toute façon, quand bien même forcerait-il la sortie des mots qui enchantent qu’il ne saurait pas trop comment s’en dépatouiller. Et par où commencer. Et comment dire. Non, on ne parle pas d’amour, le sentiment est superflu, son expression ferait comme un chahut dans le conformisme bigot et les vieilles aliénations, il n’est qu’un motif à peu près nécessaire, et encore pas toujours. On considère les bénéfices et les inconvénients, on soupèse les conséquences, notamment économiques, on évalue les aboutissements pour des projets plus intéressants. Dans un accord parfait avec ce qu’il convient de faire et que tout le monde fait. Alors on passe directement aux choses sérieuses : « Veux-tu m’épouser ? » et puis voilà. Cela fait déclaration. Cela fait preuve. Tout le reste, gnagnasseries ! Valse de balivernes ! Ça lui passera avant que ça nous reprenne ! Il faut renoncer aux sentiments pour rien. Les étouffer sitôt senties les palpitations drôles. Sinon, on se perd en palabres inutiles qui font dévier la vie, les plans de vie, et donnent des énergies qui ne produisent que des tracas. L’amour est juste la mise à feu d’une façon de transformer une situation en choses pratiques, un destin qui n’en est pas un, administratif et catholique, tout le monde à l’église, c’est comme ça, et c’est comme ça pour tout le monde, pour tout le monde pareil, terre à terre, la magie c’est une stabilisation, voilà, parfois quelques hectares de pâture de gagnés, et plus souvent encore l’idiote satisfaction de répondre aux convenances, aux attentes communautaires qui ne veulent ni dérangements ni choses qui partent de travers. La vie, rien de spécial, en somme.
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Eugène est un peu paumé parce qu’il sent qu’il est loin, très loin, et pour de bon. Loin d’où, ça il ne sait plus très bien. Loin de lui-même peut-être. De ce lui-même qu’il est en train d’abandonner dans cette mue géographique, comme si les kilomètres parcourus l’avaient tranquillement épluché.
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Prenons Edison. Il est sourd comme un pot mais invente le phonographe et double sur la ligne d’arrivée le pauvre et néanmoins poète Charles Cros, qui avait imaginé un pareil appareil. Edison était américain, c’est-à-dire plus rapide et sûrement plus malin. Toujours cette histoire de cow-boy qui dégaine le premier. Il déposa brevet, fonda la General Electric pour commercialiser son invention, puis s’en retourna à ses bricolages et inventa la chaise électrique.
Le malin ne s’encombre pas de principes. En plus, là-bas, il est majoritairement protestant, ce qui favorise les comptabilités bien ordonnées et libère des corsets catholiques, tous ces baratins de vœux de pauvreté, modestie expiatoire, j’en passe.
Le rêveur prend quant à lui le rêve au pied de la lettre. Il croit tellement au Père Noël qu’un beau jour, à New York, il se dégote un petit malin qui finit par le lui inventer en vrai.
The winner is ? Celui qui tire le premier, parce que sinon il est le premier à être tiré. Celui qui tire le premier est toujours celui qui va s’en tirer.
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Et donc, l’Américain a brûlé les étapes. Il reste un gros bébé capricieux, débrouillard, brutal et pas très bien élevé. Collé au puritanisme originel mais hors-la-loi dans le sang. Obsédé par la reproduction – de l’espèce, des langues, des choses, des images – et les grands espaces à conquérir, ce qui développe évidemment une énergie considérable et un vif instinct de survie, c’est-à-dire de ruse, lesquels, ajoutés au rigorisme protestant, donneront au sens des affaires un sérieux coup d’accélérateur.
Le miracle américain est une marche en avant, au pas de course. La Manifest Destiny, ce ressort tendu depuis la côte est en direction des contrées sauvages de l’Ouest, doit répandre la démocratie et la prospérité au-delà des Rocheuses, au besoin à coups de winchester. Glory ! Glory ! Hallelujah ! L’Amérique est un corps en expansion qui semble sans frein, sans frontière, sans répit. Une grosse paire de poumons qui gonfle et aspire tout ce qui passe à sa portée. Une fringale d’espaces vierges et une hystérie de conquêtes. Pour un peu, on croirait qu’un jour l’Américain va vouloir grimper sur la Lune.
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Il faut dire qu’en Amérique tout va toujours très vite. Cent cinquante-six ans séparent l’arrivée du Mayflower au Cape Cod de la Déclaration d’indépendance. Cinquante-sept mille jours, cinq petits milliards de secondes. Il en fallut huit fois plus, chez nous, pour passer du baptême de Clovis à la Ire République. Et vu que c’est l’Américain qui tient la plume pour raconter l’Amérique, l’histoire n’existe pas avant le Mayflower. Pas d’Antiquité américaine (des Indiens), pas de Moyen Âge américain (des Indiens), pas de féodalité américaine (des Indiens), pas de Renaissance américaine (des Indiens), pas de rois américains (des Indiens). L’Américain passe du vide (indien) au plein (américain) en moins de six générations.
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À la fin des années 1860, on donne la terre pour peu que l’agent du cadastre qui vient allouer les lopins s’assure qu’une maison comportant au moins une fenêtre vitrée et une porte a bien été construite. Née de rien, la propriété privée a métastasé au gré d’un trafic de portes et de fenêtres démontées et passées au voisin sitôt l’agent du cadastre parti. Là-dessus, un type a inventé le fil de fer barbelé pour que chacun chez soi et les bêtes seront bien gardées.
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L’Ouest fut longtemps un pays vide traversé de fantômes. Persécutés parce que polygames, les mormons s’y sont exilés au milieu du XIXe siècle. Par la piste de Santa Fe, ouverte dans les années 1820, affluent désormais des colonnes de chariots de huit tonnes, tirés par des bœufs, chargés de marchandises destinées aux populations mexicaines. En 1848, dans un trou perdu du côté de Sacramento, un menuisier a trouvé de l’or et sa découverte a jeté sur les routes des milliers d’hystériques armés de pans et de tamis. Plus bas, dans la vallée, on s’est mis à planter des orangers que l’on a fait venir du Brésil. Et comme on a tué le bovin local à coups de carabine, on a importé vaches, bœufs, taureaux. On avait fait de même avec les Indiens, ce qui n’était pas une très bonne idée parce que, évidemment, il avait fallu les remplacer pour servir aux labeurs, alors on avait pareillement importé des Africains.
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Les voici au Havre.
Les voici au Havre après deux jours de train et une nuit dans un hôtel du quartier de la gare Saint-Lazare à Paris. Eugène et Louis embarquent sur un paquebot plein à craquer de la Compagnie générale transatlantique, traversent l’océan d’est en ouest en feuilletant peut-être distraitement le dépliant qu’on leur a remis au départ – la carte des États-Unis et de précieux renseignements sur les conditions de vie, notamment en Californie -, débarquent à Ellis Island neuf jours plus tard – bousculades, contrôles, visite médicale, mesures, pesée, inspection, questionnaires, formalités, et, pour régler, tout ça, ils passent une ou deux nuits sur des châlits de salle commune à chercher le sommeil dans un fouillis de reniflements, pleurs, toux, prières, engueulades et chuchotements. Ils sont venus ici pour garder le bétail mais, pour l’instant, on dirait bien que c’est eux, parmi ces milliards de pauvres exténués qui piétinent, dociles, en file indienne, sous le regard méfiant et peu amène des contrôleurs, des flics et des médecins.
Toute la misère du monde vient s’échouer ici pour y tenter sa chance, fuir les persécutions, la pauvreté, l’ennui, les ennuis. On dit qu’en Amérique, il y a de la terre pour tous, et le pays a besoin d’agriculteurs, d’ouvriers, de commerçants, d’inventeurs. Il a besoin de bras et de cervelles. On dit qu’ici, il suffit de faire. On dit qu’il suffit de se baisser pour ramasser les cailles qui, paraît-il, tombent tout cuit du ciel. On fit qu’en Californie, la terre est tellement fertile que lorsqu’on plante une graine dans le sol, il faut immédiatement faire un bond de côté pour éviter de se faire empaler par la pousse.
Tout ceci est sûrement très exagéré, mais voilà qui donne une indication.
En tout cas, ce genre de chose fait naître de grandes belles idées qui activent des réflexes d’appétit féroce et de revanche sur la vie – laquelle, jusque-là, n’a pas toujours été une partie de plaisir… Quand on se souvient d’où l’on vient, quand on n’a pas oublié ce à quoi l’on a échappé, on devient vite assez nerveux sur ce qui semble soudainement améliorer les existences honteuses. Alors, tout ce beau monde de loqueteux et de petites gens se presse au portillon, tête baissée devant les autorités, soumis encore, mais, je vous jure, pas pour longtemps, montrant les dents, définitivement désolidarisés des autres pauvres qui leur sont comme un miroir dans lequel ils n’ont certainement pas envie de se voir passer. Et comme les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés, ces immigrants, une fois installés, montreront peu d’entrain à laisser la porte ouverte aux suivants. Dans peu de temps, l’autodéfense leur sera une hygiène morale et la propriété privée une cause inaliénable. Ce réflexe-là court dans toutes les têtes mais, comme on sait, en Amérique, tout est toujours plus grand. Les immigrants sont des miraculés. Quiconque bénéficie d’un miracle n’est jamais prêt à s’en laisser dessaisir. Avec ça vont toutes sortes de mentalités. « Le bon sens est agricole », comme disait l’autre. En Amérique non plus, la terre ne ment pas.
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Dans ce bout du monde, les lointains sont tellement lointains qu’ils n’existent même pas en rêve. C’est à peine si Eugène, peut-être, se souvient d’avoir regardé à l’école communale les gravures édifiantes du manuel d’histoire-géographie : Savorgnan de Brazza, le glorieux débarquement de Sidi-Ferruch, Montcalm à la bataille des plaines d’Abraham. Abstrait. Les lointains sont des linogravures et c’est tout. Ça n’est pas l’imagination qui lui manque, à Eugène – « quand on voit, on n’imagine plus », comme il est rapporté dans le livre fameux -, c’est l’imagination d’imaginer. C’est aussi l’ambition d’imaginer. L’ambition d’imaginer qu’il pourrait avoir de l’ambition. Une tout autre ambition.
Or, voici qu’un beau jour, quelqu’un – ce premier rôle de toutes les histoires dont on ne sait rien -, quelqu’un donc leur met une idée dans la tête, aux deux frères ou à leurs parents. Le genre d’idée plus-c’est-gros-plus-ça-marche, à tel point qu’elle passe comme une lettre à la boîte. Il faut dire qu’à l’époque, cette idée plus-c’est-gros-plus-ça-marche semble comme qui dirait partagée par pas mal de gens. Beaucoup ont déjà eu l’idée d’avoir cette idée-là, cette idée plus-c’est-gros-plus-ça-marche, cette idée si immense, si folle et si simple à la fois. Cette idée-là, cette idée plus-c’est-gros-plus-ça-marche, cette idée flambant neuve a beau être immense, et folle, et immensément folle, elle se résume assez bêtement à un tout petit verbe du troisième groupe : partir. Autrement dit se faire la malle et aller voir ailleurs. Voilà comment le monde continue son histoire, voilà comment il se défriche et se déchiffre. C’est en tout cas ce que l’on apprend à l’école de la République. On pourrait dire qu’il y a là comme une loi naturelle à quitter son pays si son pays ne vous donne plus de quoi vivre et semble donc ne plus vouloir de vous. Mais en ces temps de conquête et d’expansion s’ajoute à cette nécessité universelle comme une petite démangeaison au fond du crâne, qui passe dans un certain nombre de crânes, et qui se nomme l’appel de l’inconnu. Le genre de chose qu’on ne sait pas trop ce que c’est – d’ailleurs, c’est marqué dessus. Le genre de chose qui donne des frissons bizarres où se mêlent joie folle et peur immense. Le genre de chose avec vapeurs-soleil, cargos-sirènes et casques coloniaux. Dans le Champsaur, Dieu sait pourquoi, on ne partait pas en Alabama, ni au Mexique, ni au Brésil, ni en Pennsylvanie, on partait bien plus loin. À l’autre bout du monde. À l’autre bout du Nouveau Monde. Dans le Champsaur, en général, on partait en Californie.
Alors Eugène et Louis sont partis en Californie.
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