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Critique de JustAWord


Après son acte de naissance avec La langue d'Atlmann, et alors que l'on se remet encore de son premier roman au vitriol de l'Eglise avec Père des Mensonges, l'américain Brian Evenson publie une novella au titre intriguant : La Confrérie des mutilés. Traduit en France dans la défunte collection Lot 49 dirigée par Claro et Hofmarcher, la version française regroupe à la fois la novella originale de 2003 mais également sa suite, Derniers jours, parue six ans plus tard. L'auteur continue de définir les contours morbides de son oeuvre et vous êtes loin d'imaginer les tréfonds indicibles de l'horreur qu'il vous réserve…avec le sourire !

L'homme-chiffre
Ancien mormon, Brian Evenson est fasciné depuis toujours par le pouvoir de la croyance et le phénomène sectaire. Logique donc que la religion occupe une place centrale dans son oeuvre. La Confrérie des mutilés ne fait pas exception à la règle.
Nous y retrouvons Kline, un détective privé qui vient de vivre une expérience pour le moins très désagréable. En cherchant à débusquer le « gentleman au hachoir », Kline est contraint de s'amputer la main et de cautériser la plaie lui-même pour pouvoir s'échapper et mettre fin aux agissements du tueur. En pleine convalescence et alors qu'il en est encore à s'habituer à sa nouvelle condition, notre détective reçoit un étrange coup de fil de deux inconnus qui lui proposent de venir les rencontrer au plus vite. Kline doit les aider sans tarder.
D'abord surpris, puis intrigué, notre héros n'a finalement plus d'autre choix que de suivre les deux inconnus lorsque ceux-ci se présentent à son domicile en le forçant à les suivre.
Gous et Ramse, puisque c'est ainsi qu'ils se nomment, expliquent à Kline qu'il doit absolument les aider à résoudre une sinistre affaire qui a eu lieu dans leur communauté et que sa mésaventure avec le « gentleman au hachoir » est un signe clair qu'il est l'homme de la situation.
Voilà donc que Kline se retrouve de l'autre côté d'un portail sécurisé, au milieu d'un lotissement de plusieurs maisons encadrant un immeuble à deux étages. C'est là que réside la fameuse Confrérie dont sont membres Gous et Ramse.
Il ne faut d'ailleurs pas longtemps pour comprendre que ce qui rassemble les hommes de cette Confrérie, c'est un goût prononcé pour l'amputation.
Ici, on vénère l'absence plutôt que la présence.
Le dévot est celui qui sera prêt à se séparer du plus de membres ou de morceaux de chair inutiles. Orteils, doigts, pieds, jambes, bras, oreilles, oeil, fesses… Plus, c'est moins.
Brian Evenson nous fait pénétrer dans un monde avec des règles complètement insensées et macabres, construisant une religion autour de la mutilation de soi, troquant la livre de chair contre l'accumulation du savoir, suscitant l'excitation pour le corps transfiguré.
Les membres de la Confrérie sont d'autant plus élevés dans la hiérarchie qui leur manque des morceaux. Un novice est un « Un » tandis que les puissants vont bien au-delà de Dix. L'homme devient un chiffre, devient un tableau de chasse.
C'est ainsi que Kline se retrouve devant un « Douze », le numéro deux de la Confrérie en réalité, un certain Brochert. Celui-ci demande alors au détective de faire ce qu'il fait le mieux : débusquer la personne qui a assassiné le Prophète et Chef de la Confrérie, Aline. Mais Aline est-il vraiment mort ? Et comment découvrir quoique ce soit quand on soi-même qu'un « Un », presque un non-croyant ? Faut-il jouer selon les règles des autres une fois dans leur monde ?

Croire jusqu'à la lie
En explorant la secte avec Kline, le lecteur finit par perdre pied et l'atroce devient une norme. Se couper un membre quelque chose de banal, de ritualisé, d'obligatoire. Cette banalisation de la violence et du macabre permet à Brian Evenson de déployer une certaine forme d'humour noir qui vient donner un ton plus distancié que, par exemple, celui de Père des Mensonges. Mais cet humour n'empêche pas l'américain de disséquer patiemment et cliniquement les chemins empruntés par le fanatisme.
Ce qui fascine dans La Confrérie des mutilés, c'est sa capacité à exposer les rouages de l'endoctrinement de façon implacable. Kline, à force de côtoyer des croyants complètement inébranlables dans leur conviction, finit par supporter une réalité qui vacille à son tour. La dévotion et le changement de paradigme entraînent de facto une déformation du réel. Et l'on en perd ses repères.
Sous l'influence de Beckett, Brian Evenson poursuit par une suite direct avec Derniers jours. Une suite qui ajoute une autre dimension supplémentaire à son exploration du phénomène sectaire : le schisme et l'uniformisation. Car si la Confrérie était une première étape dans la négation de l'individualité, les adorateurs de Paul en sont une autre expression qui cherche à annihiler peut-être encore plus complètement l'identité, à la façon d'un Chuck Palahniuk dans Fight Club.
Tous les membres s'appellent Paul et prennent Kline pour l'Élu, menant à un phénomène de prophétie auto-réalisatrice aussi sanglante que savoureuse. Cette fois, Brian Evenson pousse son jeu de massacre jusqu'à dénicher le point de rupture où la raison se laisse dominer par l'absurdité de ce qui nous entoure. Où l'on est prisonnier de l'absurde.
C'est aussi une façon radicale de comprendre que pour sortir d'une secte… il faut trancher dans le vif. Que seule une solution extrême peut mettre fin au fanatisme qui, lui-même, s'auto-alimente sans aucune limite.
Évidemment, le roman reste un monument de macabre et de glauque comme seul Brian Evenson en est capable. On y retrouve sa fascination pour le body-horror et l'amputation, sur la capacité de l'humanité à produire une violence qu'elle justifiera par n'importe quel mythe ou religion.
D'ailleurs, Kline a surtout un très vilain défaut : celui de la curiosité.
Cette curiosité qui mène à la fascination et ultimement, à l'endoctrinement. Un fait que lui fera remarquer à plusieurs reprises Brochert, comme si la curiosité avait l'effet pervers de découvrir ce qu'il ne fallait pas et allait de fait causer notre perte.
Surtout quand le mystère s'annonce déjà sinistre à l'avance…

Aussi fascinant que macabre, La confrérie des mutilés dépèce les croyances et le phénomène sectaire. C'est une exploration radicale et extrême de l'homme qui croit, de ce qu'il est capable de se faire à lui-même et à autrui en modifiant le réel. Brian Evenson s'amuse dans le glauque et l'on en ressort éprouvé autant qu'étrangement réjouit. Amputez-vous qu'ils disaient…
Lien : https://justaword.fr/la-conf..
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