La belle Véronaise

Je pense que tu as de l'imagination à revendre et que les histoires trop simples te déçoivent, c'est pourquoi tu refuses les solutions auxquelles les autres pourraient arriver aussi facilement que toi.

Elles étaient veuves et sexagénaires toutes les deux. Aigries, elles vivaient mal de petites rentes laissées par des maris morts au travail et elles en voulaient à tout le monde de leur jeunesse perdue, de leurs existences ratées, de la gêne où elles se débattaient. Elles en voulaient à tout le monde et principalement, à la belle Domenica Subiaco qui, avec son époux, tenait le café-restaurant « La Belle Véronaise » dans la Via Sottoriva qui longe l’Adige. Domenica était jeune et très jolie, ce qui suffisait largement à irriter les femmes du quartier et de plus, il semblait qu’elle fût de mœurs dissolues ce qui excitait les indignations les plus vertueuses et les envies les moins avouables.

La belle Domenica, amorale et fantasque, aimait trop les hommes pour se contenter d’un seul. Son inconduite notoire défrayait le quartier. Son mari, sans cesse humilié dans sa dignité, cédait, la place à ceux que sa femme recevait en son absence. C’est la raison pour laquelle, à l’heure où les autres se montraient, il préférait s’en aller plutôt que de livrer un combat qu’il faudrait reprendre sans cesse avec l’assurance d’y être toujours vaincu.

Le papa un monstre ? il est le meilleur de tous les hommes ! Sa vie, c’est la mama et ses bambini… Pour lui, nous sommes toujours-des bambini… Au fur et à mesure qu’on s’éloigne, on lui arrache un petit morceau de son cœur…

Voyez-vous, vous autres, Florentins, vous ressemblez aux Milanais sur un point, vous vous imaginez qu’avec de l’argent on peut tout obtenir… Tenez, prenez votre équipe de football… Elle obtient des résultats, c’est incontestable mais pourquoi ? hé ? Parce qu’il n’y a pratiquement pas de Florentins dedans… Des mercenaires, simplement des mercenaires venus de tous les coins…

Vous devez penser que si je me mêle de votre vie privée, ce n’est ni pour mon plaisir, ni pour vous humilier, mais simplement parce qu’un homme est mort et que je veux savoir pourquoi et qui l’a tué.

Une fois calmé, le papa s'enquit :
- Et d'où est-il, ton Alfredo?
- De Florence.
- Encore un étranger ! Mais qu'ai-je fait au Ciel pour que mes idiotes de filles s'éprennent toutes d'étrangers?
- Papa ! un Florentin est un Italien, comme nous !
- Tu prétends me donner des leçons, en plus? Ma qué ! malheureuse, tu ne sais donc pas qu'il n'y a rien de pire que les Florentins?
- Et pourquoi, hé?
- Pourquoi? Elle se permet de me demander pourquoi? Si tu n'avais pas gaspillé l'argent que j'ai dépensé pour ton éducation, tu saurais qu'à Florence on ne songe qu'à s'étriper, à s'égorger et dès qu'il y a quelqu'un de bien dans leur sacrée ville, les Florentins le fichent à la porte !
- Ce n'est pas vrai !
- Pas vrai ! Et Dante, ils ne l'ont pas exilé, peut-être? Et Savonarole, ils ne l'ont pas brûlé?
La mama conclut, amère :
- Mes filles n'ont du goût que pour les sauvages !