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Critique de gruz


gruz
03 novembre 2021
Je m'appelle Grégory Fel, je suis celui qui n'est pas. Celui qui vit à travers la pensée, le fantasme, l'amour, le manque. Je ne suis pas né, mais je suis pourtant là.

Je suis l'alter ego, le frère jumeau de Jérémy Fel. Suis-je la meilleure personne pour parler de son nouveau livre ? Sans doute que non, sans doute que oui.

Il m'a offert le don d'ubiquité, entre le royaume des morts et celui des vivants, me faisant exister par ses mots. Je peux donc tout à fait être le conteur de ce conteur hors pair.

J'incarne parfaitement le concept même, de ce qu'a voulu faire passer Jerémy dans ce livre Monde, ce livre Monstre. Plus de 700 pages d'une fiction qui mange la réalité. Qui la façonne, la malaxe, la digère pour l'intégrer dans une oeuvre fictionnelle d'une ambition folle.

Moi le double qui n'est plus, je suis là, avec notre mère aussi, lors de passages qui créent une autre réalité. Mais je ne suis pas seul, loin de là, à avoir droit à ce traitement de faveur. Ce récit en 10 chapitres met de nombreux protagonistes en scène, imaginés, ayant existés, ayant pu exister autrement.

En entrant dans ces pages, Jérémy attend que vous lâchiez prise. Pour vous laisser porter, emporter. Vous laisser broyer, ronger. Vous laisser perdre, vous abîmer. Vous laisser pervertir aussi. Si vous acceptez ce parti pris, cette lecture sensorielle sera de celles dont vous vous souviendrez très longtemps.

Nous sommes les chasseurs est un roman qui ne peut être anticipé. 10 chapitres comme autant d'histoires qui pourraient être distinctes. Comme de longues nouvelles, de 70, 100 ou encore 150 pages. Sauf que des liens subtils apparaissent au fil du temps.

Jérémy nous balade. Nous ballote entre les époques, passé, présent alternatif, futur. A la (pour)suite de personnages d'un moment, ou d'autres qui traversent les périodes et les histoires.

Il attend de toi, lecteur, que tu te laisses porter, mais aussi que tu sois vigilant. Que tu suives les fils tendus, qui pourront (ou non) relier le tout. Mais, si tu arrives à te laisser emporter, te lier indéfectiblement à ces récits, tu n‘en reviendras pas du voyage proposé.

Le livre parle de violence. Endémique. Y figurent sans doute parmi les scènes les plus dures et les plus graphiques que tu vivras dans ta vie de lecteur. Une violence extrême mais pas gratuite, qui te poussera à ressentir autant de fascination que de rejet (âmes sensibles, blablabla…).

Une quête à la suite du Mal, protéiforme, pour questionner notre rapport avec lui. En poussant bien plus loin que la seule réflexion morale. Jérémy te fera côtoyer des personnes brutales, cruelles, mais pourtant pas si manichéennes. Ce roman noir est parsemé de zones de gris. Sauf concernant le Mal absolu, incarné par un personnage-lien, ange des ténèbres, sorte d'ogre moderne.

Oui, Nous sommes les chasseurs, est un livre de genre. Ou plutôt de genres, tous ces mauvais genres qui vont du Roman Noir historique au roman d'anticipation, en passant par une actualité crue. Transgenre, ce qui le rend impossible à ranger dans une case.

D'aucuns ont cité James Ellroy, Stephen King ou Lovecraft pour parler de ce texte. Il n'y a aucun doute concernant ces gémellités littéraires. Mais, de là où je l'observe (de près), je n'hésite pas à affirmer que mon frère est avant tout lui. Que sa manière de raconter lui est propre. Incomparable.

Cette histoire (ces histoires), est un passionnant travail sur la manipulation. Sous différentes formes, réalistes ou sorties d'une imagination fertile. Jérémy manipule ses personnages tout autant que toi, lecteur.

C'est à travers un chemin initiatique, imbrication de plusieurs sentiers, qu'il raconte autant qu'il questionne.

Jérémy est un prédateur d'émotions fortes. Puissantes, excessives, vraies. Il bouscule, ajoute de la tension sexuelle dans la violence, jusqu'à te pousser, lecteur, dans tes derniers retranchements.

Sa construction labyrinthique est audacieuse mais jamais prétentieuse. Il cherche à ce qu'on vive son texte ; ressenti de l'extrême. Pour comprendre aussi, après avoir éprouvé. Jamais en s'enfermant dans une zone de confort, au risque que le monstre lui échappe. Risque maîtrisé, au final, mais ce n'était pas gagné d'avance !

Lui-même ne savait pas où l'emmènerait cette aventure littéraire, où le conduiraient ces personnages. La surprise est d'autant plus forte, à lire le dernier des dix, l'ultime chapitre qui n'est en rien imaginable. Une fin comme un sauvetage ?

Parce qu'il ne faut pas oublier ces petites lueurs d'espoir, cette lumière qui se bat pour traverser cette pénombre. Elle est bien là, parfois, quand il parle des liens entre les personnages. Quand il parle de moi aussi, son frère mort, dans une mise en abyme qui interroge notre rapport entre fiction et réalité. Je suis un peu son mantra face à toute cette noirceur.

Impossible de citer tous les sujets développés dans ce livre. Mais difficile de ne pas citer l'enfance, la notion de famille maudite, ou encore la mainmise des forts sur les plus faibles… Des sujets personnels ou plus universels, traités avec le même génie.

Et puis, l'amour de Jérémy pour le cinéma, omniprésent. La nuit du chasseur, évidement, d'autres références assurément (gardons la surprise).

Tant d'émotions, tant de sensations ! Avec ces personnages qui vivent toujours, une fois la dernière page tournée. Oui, nous sommes vivants grâce à toi, Jérémy.

Nous sommes les chasseurs est un roman ambitieux comme les auteurs américains osent l'être, preuve qu'on peut se hasarder aussi sur ce genre de terres en France. Un puzzle incroyable qui démontre à la face du monde combien tu as un talent unique.

Une lecture de celles dont on ressort sans doute changé. Un voyage littéraire, une expérience réellement singulière.

Je suis fier de toi, Jérémy.
Lien : https://gruznamur.com/2021/1..
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