Le premier homme (BD)

Je vous défendrai à n'importe quel prix, sauf au prix de ma mère parce qu'elle a connu plus que vous l'injustice et la douleur. Et si dans votre rage aveugle, vous touchez à elle ou risquez d'y toucher, je serai votre ennemi jusqu'au bout.

Je préfère notre pauvreté, avec la mer et les jeux, à la vulgarité et à l'ennui de ce bureau poussiéreux et sans lumière.

Pour moi, le vrai travail, c'est celui de l'ouvrier à la tonnellerie, par exemple... l'effort musculaire, les gestes précis, les mains dures... Et puis, l'ouvrier peut voir le résultat de son travail: un barril neuf, bien fini, sans une fissure. Alors que le travail de bureau ne vient de nulle part et n'aboutit à rien: la chaleur, l'ennui, la fatigue, c'est bête à pleurer.

Cette traversée du siècle nous montre que l'histoire broie les êtres sans racines, sans nom et sans passé. Ils font l'histoire en se défaisant pour toujours.

- Le massacre des civils salit toute cause...
- Après tout, Gandhi a prouvé qu'on pouvait lutter pour son peuple et vaincre sans cesser un seul jour de rester estimable...
- Oui, quelle que soit la cause que l'on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d'une foule innocence où le tueur sait d'avance qu'il atteindra la femme et l'enfant.

- Elle fait le ménage des autres et surtout celui du mercier, en face...
- Eh bien, il faut mettre domestique.
- Une domestique elle travaille pour les autres, alors que ma mère, elle travaille d'abord pour la famille!

Au lieu de la joie du succès, une immense peine d'enfant me tordait le coeur... Comme si je savais d'avance que je venais par ce succès d'être arraché au monde innocent et chaleureux des pauvres, où la misère tient lieu de famille et de solidarité, pour être jeté dans un monde inconnu... Et désormais apprendre, comprendre sans aide, à devenir un homme.

Personne en vérité ne m'a jamais appris ce qui était bien et ce qui était mal... Certaines choses étaient interdites et les infractions durement sanctionnées. D'autres pas... Les instituteurs nous parlaient parfois de morale, mais là encore les interdictions étaient plus précises que les explications... La seule morale était simplement la vie quotidienne d'une famille ouvrière où il n'y avait pas d'autres voies que le travail le plus rude pour acquérir l'argent nécessaire à la vie... Mais c'était là leçon de courage, non de morale.

Le football était mon royaume... Mais ce royaume m'était interdit. Car la cour était cimentée et les semelles s'y usaient avec une telle rapidité que ma grand-mère m'avait interdit de jouer au football pendant les récréations.

Il mourut prématurément, usé par le soleil et le travail, et peut-être le mariage...