Si tous les autre gagnent, c'est parce que ceux-là ont tout perdu. Ils ont même perdu leur nom et celui de leur village qui n'existe plus. Ils ont perdu leurs enfants. Ils n'ont plus rien et ils paient pour tous.
- Ils ont acheté le géant, dit quelqu'un, parce qu'il est grand et fort comme quatre. Mais d'habitude, ils ne prennent pas les visages abimés, les jambes qui boîtent, les dents ou les oreilles qui manquent...
- Et toi, pour garder l'huile ou le sel, demande une voix dans l'ombre, est-ce que tu achèterais un pot fendu ou avec une oreille cassée ?
(...)
- Moi, je l'achèterais, ton pot un peu cassé, dit alors celle que les Blancs appellent Ève. Je l'achèterais parce que ce qui est vivant est toujours un peu cassé.
À côté de lui, Joseph regarde fixement la lampe. Chaque mots qu'il avait prononcés aurait pu le faire tomber. On croit que l'art du mensonge est l'art de la vraisemblance. C'est faux. Rien ne semble plus vrai que l'invraisemblable.
Ils se regardent l’un l’autre comme deux survivants à la fin du monde. Deux uniques rescapés qui auraient erré mille ans de leur côté sur une planète en ruine et se retrouveraient enfin.
Le chagrin et la révolte rendent tout possible.
Avec sa robe blanc et bleu, avec le bruit du tissu sur le parquet ciré, le tambourin de ces pieds nus, on dirais une de ces petites vagues qui galopent sur le sable ne se laissent arrêter par rien.
Parce-qu'il ne reçoit pas d'argent, Parce-qu'il a les poches toujours vides, Joseph ne compte pour personne. C'est le destin des marginaux, des pauvres et des poètes. Ils deviennent transparents aux yeux des autres. Ils n'existent plus.
Elle est quelques pas derrière eux. Elle se dit qu'un jour reviendront des temps heureux. Un jour, il y aura de la lumière.
La liberté a fait pousser en eux tous les dons car les arbres touchent le ciel si on ne les étouffe pas. La liberté devient l’air qu’ils respirent.
Et puisque la liberté les fait vivre, sans elle ils mourront.