Je suis le Capitaine Rosalie, infiltrée dans ce peloton, un matin d'automne 1917. Je sais ce que j'ai à faire. Un jour, on me donnera une médaille pour cela. Elle brille déjà au fond de moi.
Ma chérie, je pense à vous. Je sais que Rosalie est sage. Et que le maître d'école est content de l'avoir. Et toi, je sais que ton travail est fatigant. Tu aimerais passer plus de temps avec ta petite fille. Mais quand je mets un obus dans le canon, je me dis toujours que c'est peut-être toi qui l'as fabriqué à l'usine. Comme si tu étais à mes côtés dans la bataille. Oui, les dames nous aident en travaillant si dur dans ces usines, et les enfants nous soutiennent en prêtant leurs mamans et en les attendant sagement.
Les taches de rousseur sous mes yeux, les animaux que je dessine sur la page, les grandes chaussettes jusqu'aux genoux, tout cela n'est que du camouflage. On m'a dit que les soldats se cachent avec des fougères cousues sur leur uniforme. Moi, mes fougères sont des croûtes aux genoux, des regards rêveurs, des chansons que je fredonne pour avoir l'air d'une petite fille.
On m’a dit que que les soldats se cachent avec des fougères cousues aux genoux, des regards rêveurs, des chansons que je fredonne pour avoir l’air d’une petite fille.
Je descends de ma chaise, pose la boîte sur la table et retire le couvercle. Les enveloppes sont là. Je prends celles du dessus. Je l'ouvre. Je n'ai plus assez de souffle pour suivre l'écriture escarpée de mon père mais je prends les plus petits mots du papier, ceux qui me sautent au visage dès que je me penche. Les mots rats, le mot sang, le mot peur. Jamais ma mère ne m'a lu ces mots-là. Et plus bas, tombés au pied de la page, les mots enterrés vivants et boucherie.
Il y a une phrase soulignée qui dit: Ici, il pleut du fer et du feu.
Les semaines se ressemblent. De temps en temps, la nuit, j’ouvre ma fenêtre et je me penche pour écouter. Je tends l’oreille. Je me demande si je pourrais entendre le bruit de la guerre, très loin, derrière les chiens des fermes.
La cuisine est toute repeinte en or par la flamme de la bougie. Je vois ma mère. Je me redresse sur ma chaise. Elle a le visage que j’aime. Celui des jours fragiles. Elle reste debout devant la table. [...] Elle fait un pas, me prend dans ses bras et je pleure avec elle.
"Mais je suis un soldat en mission. J'espionne l'ennemi. Je prépare mon plan."