Une page se tourne quand l’enfance finit. Du moins, c’est ce qu’on se dit longtemps après que la chose a eu lieu lorsque l’on jette sur son passé un premier regard en arrière. Mais il arrive en certaines circonstances que l’histoire individuelle et l’histoire collective, par la force des choses, se mettent nécessairement en phase, qu’elles donnent l’impression de coïncider.
...le nom de « souvenir », passe pour la vérité de notre passé.
Chacun d’entre nous réécrit le roman de sa vie à mesure qu’il vieillit. Et cette fiction finit par devenir la seule vérité qui compte.
« Tel père, tel fils. » Aragon a souvent confié quelle répugnance lui inspirait son apparence physique — pourtant jugée généralement avantageuse à en croire la séduction qu’il exerça toute sa vie sur les femmes et les hommes. Il est fort possible que ce soient les traits de son père qu’Aragon n’ait pas supporté de reconnaître dans ceux de son propre visage.
Aragon a voulu qu’il ne fût jamais question de son père dans ses propos ou dans ses livres. Les exceptions à la règle qu’il semble s’être fixé, si elles existent, se comptent sur les doigts des mains et, comme telles, confirment plutôt qu’elles n’infirment cette règle. Et si, bien sûr, on reste libre d’interpréter un tel silence comme un aveu et de traquer partout où cela est possible des confidences cryptées, l’honnêteté critique oblige à prendre acte du refus ferme et obstiné qu’Aragon a toujours opposé quand on prétendait établir un lien quelconque de lui à l’homme qui l’avait engendré.
Un malheur n’arrive jamais seul.
On hésite en général à détruire les photographies par une sorte de superstition qui lie l’image à celui qu’elle représente.
On ne choisit pas sa famille.
Comme l’écriture, l’orthographe, la présentation du manuscrit en témoignent, le « roman » en question est bien le fait d’un enfant et on peut le considérer comme la trace authentique des débuts d’Aragon en littérature. Si tant est, d’ailleurs, qu’une telle proposition ait un sens. Car tous les enfants qui écrivent ne deviendront pas des écrivains et on ne tient « Quelle âme divine ! » pour un texte littéraire que parce qu’il fut suivi, bien d es années après, par toute l’œuvre romanesque et poétique que l’on sait et qui seule lui confère rétrospectivement la valeur ou l’intérêt qu’il est loisible à chacun de lui trouver — ou pas.