Tout le secret d’un tableau réussi réside dans la faculté à laquelle l’œil et la main parviennent parfois lorsqu’il leur arrive d’imposer ensemble un ordre relatif et cependant irréfutable à ce chaos. Mais - et là se situe la difficulté - en lui conservant toutes ses caractéristiques de chaos.
Une bonne histoire se signale précisément par la faculté qu’elle a de faire signe à celui qui la découvre et qui, sans l’avoir prévu, se retrouve soudainement happé. Au point, très vite, de ne plus parvenir à faire la part entre ce qui vient d’elle et ce qui vient de soi.
De toute éternité,la même pièce se joue,même si elle ne cesse de varier vaguement selon l’interprétation qu’on en offre. Parmi toutes les versions qui se succèdent sur la scène,nul ne sait vraiment qui est la bonne. La pièce ne commence ni ne finit,elle n’existe que sous la forme continuellement changeante que lui confère le moment où elle se donne et à la seule faveur duquel elle existe.
Les histoires sont plus vieilles que les hommes qui les vivent, plus vieilles que ceux qui les racontent. Elles les précèdent. Elles les attendent. Elles leur survivent. Une fois qu'ils ont disparu, elle continuent sans eux. Jusqu'à ce que d'autres s'en viennent, qui prennent leur relève et qui, à leur tour, remplissent les rôles que les premiers avaient d'abord crus à eux.
Vous pouvez me retirer ma gloire et ma puissance, dit la voix, mais non mes chagrins dont je resterai toujours le roi.
Chacun s’imagine être l’auteur d’une pièce dont il n’est au fond que l’interprète. En toute innocence, il reprend un récit que le passé lui lègue mais que, sincèrement, il se figure n’avoir jamais su. Si bien qu’il le fait sien aussi sûrement que s’il l’avait inventé.
Des spectres, rien que des spectres. Certainement. Déjà morts ou encore à naître. Prisonniers provisoires de la scène sur laquelle ils traînent leur âme en peine, ils ressassent le vieux chagrin qui leur brisa le cœur, ils retardent autant qu'ils le peuvent le moment de boire au fleuve dont l'eau leur fera tout oublier des existences que leur passé leur offrit comme de celles que l'avenir leur réserve. Ils ont eu tant de vies qu'ils ne savent plus de laquelle dire qu'elle fut la leur.
« — Vous pouvez me retirer ma gloire et ma puissance, dit la voix, mais non mes chagrins dont je resterai toujours le roi. »
Il répondrait certainement qu'un tableau n'est rien d'autre qu'une sorte de miroir. Il réfléchit le monde selon le tempérament de celui qui l'observe et qui en prend possession.
La vie est un conte raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur et qui ne signifie rien