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Critique de Chri


L'homme objet des sciences, est « tel qu'on prendra en lui connaissance de ce qui rend possible toute connaissance » : une étrange proposition (qui me rappelle en le disant quelque chose comme la fameuse incertitude d'Heisenberg).
Déjà la psychanalyse et l'ethnologie «parce qu'elles se dirigent vers ce qui, hors de l'homme, permettent qu'on sache, d'un savoir positif, ce qui se donne ou échappe à sa conscience. (…) Elles s'adressent à ce qui constituent les limites extérieures du concept d'homme (…) Elles dissolvent l'homme ».
En restant sur le sol contemporain, on se dira peut-être que les sciences progresseront continûment dans la connaissance de leur objet par tâtonnement et par intuition géniale, en résolvant les problèmes les uns après les autres. Mais quel objet ? L'inconscient ?
« Comment peut-il se faire que l'homme pense ce qu'il ne pense pas ?...Comment peut-il être cette vie dont le réseau, dont les pulsations, dont la force enfouie débordent indéfiniment l'expérience qui lui en est immédiatement donnée ?...Comment peut-il être ce travail dont les exigences et les lois s'imposent à lui comme une rigueur étrangère ?».
« Qui parle ? » : Nietzsche est constamment à l'esprit de Foucault.
Dès l'âge moderne (fin XVIII début XIX), apparaissent ces notions nouvelles de vie, travail et langage. A ce moment on va parler de biologie, d'économie et de philologie.
« Cuvier et ses contemporains avaient demandé à la vie de se définir elle-même, et dans la profondeur du vivant ; de la même façon, Ricardo avait demandé au travail les conditions de possibilité de l'échange, du profit et de la production ; les premiers philologues avaient aussi cherché dans la profondeur historique des langues la possibilité du discours et de la grammaire. ».
Cuvier, Ricardo, Bopp, sont des noms évidemment moins connus que Darwin ou Marx, et qui donc piquent la curiosité. Foucault s'empresse d'expliquer ce choix car certains noms passeraient facilement pour des « réactionnaires » (on comprend mieux en lisant la biographie de Cuvier sur Wikipedia). Tout au long du livre, on peut d'ailleurs lire la méfiance de Foucault à l'égard des multiples tentatives de théorie évolutionniste. Mais ce qui pique réellement c'est l'approche archéologique de Foucault, son concept d'épistémé.
Dans la première partie du livre, il va appliquer cette démarche successivement aux périodes traditionnelles de la Renaissance, de l'âge classique et donc de l'âge moderne, en prenant soin d'analyser ensemble les 3 domaines du savoir qui deviendront donc la biologie, l'économie et la philologie (linguistique). Sa démarche s'annonce laborieuse, et il interpelle le lecteur : « comment faire autrement ? ». (Par là il nous rappelle à la manière de Kant, que son livre n'est une rhapsodie).
Son objectif est précisément de révéler les discontinuités et l'a priori historique qui caractérise le champ des savoirs possibles à chaque période, l'épistémé. Ce déterminisme radical ainsi creusé, devra lui permettre à la fin du livre, de ramener les questions contemporaines à la recherche de la nouvelle épistémé, comme une espèce de mystique non-dite ou d'essence de la pensée actuelle.Plus concrètement ce pourrait être une nouvelle unité retrouvée du langage, actuellement dispersée selon les modes de la littérature, de l'exégèse, du formalisme et de la philologie.
Ce concept le conduit à reléguer au second plan tout le travail des scientifiques qui procèdent à partir des problèmes à résoudre. D'autre part, le pré-supposé théologique (cas de Charles Bonnet) ou d'autres types de déterminations se trouvent également ignorés par avance derrière l'a priori historique. (Voir notamment la critique de Pierre Bourdieu dans "Raisons Pratiques").
A coups de marteau, il se retrouve à souder une à une les découvertes des savants à l'épistémé qui les a rendues possibles à leur époque. le comble de l'agacement c'est que les changements d'épistémé entre les périodes restent des évènements archéologiques à l'origine complètement inconnue. En tous les cas, ce livre ouvre forcément un champ important à la critique.
Ce livre forme avec le précédent « Une histoire de la folie à l'âge classique » une sorte de diptyque : histoire de l'autre/histoire du même. Dans les deux cas on parcourt l'histoire avec l'art et la littérature. C'est d'ailleurs ici « La prose du monde » qui résume son chapitre sur la Renaissance, et c'est le tableau des Menines de Velázquez qui représente l'âge classique et la prochaine mutation archéologique et qui traverse le livre avec son mystère : « L'homme apparaît avec sa position ambiguë d'objet pour le savoir et de sujet qui connaît : souverain soumis, spectateur regardé, il surgit là, en cette place du roi que lui assignait par avance les Menines, mais d'où pendant longtemps sa présence réelle fut exclue ».
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