Citations sur Villa Royale (13)
Et toujours, comme des balles de jokari, nous revenons à notre enfance, prisonniers des traumatismes et des premières fois, parce que c'est dans ces moments-là que nous avons ressenti les émotions les plus fortes, des émotions si puissantes que j'en vois encore la couleur aujourd'hui.
Il y a des gens qui n'aiment pas les chiens, d'autres qui sont davantage chats que chiens. Ce n'était pas notre cas. Il faut bien dire pourtant qu'il était rare de trouver des êtres plus affectivement dépendants que nous ; qu'il en existe relevait du miracle, et nous aimions les miracles. Et surtout, comme l'avait expliqué Victor, c'était très facile de se faire aimer d'un chien (...) : une attention
même peu soutenue, de quoi manger et vous avez un chien fidèle pour la vie, qui tuerait pour vous - alors si en plus vous l'aimez, si vous lui donnez autant qu'il vous donne, c'est une relation sans aucune ombre, une de celles qui peuvent vous faire pleurer d'une joie très
simple. Aucun abandon, aucun coup tordu derrière votre dos. La mort seulement, qui comme à son habitude massacre tout.
"Et c'est vrai, bien sûr, c'est vrai que la vie d'avant ne reviendrait jamais, ni notre maison bordée par le boulevard périphérique, ni d'ailleurs mon père, mais au beau milieu des milles artifices de l'aéroport, j'étais, moi, heureuse de sentir une odeur enivrante, perverse, bien plus violente que ma tristesse : l'odeur de la fuite."
Qu’importe si un carré a la forme d’un losange, ce n’est pas la représentation qui compte, mais ça (il a posé la main sur le minuscule carré dans un coin) : le symbole. »
Il m’agaçait. Pas une seule fois je n’avais été jalouse de l’intelligence pointue, glacée de Victor, mais sa froideur et son sens éthique de la justice, bien loin de ma mauvaise foi et de celle de Charles, m’exaspéraient.
Elle devait avoir mon âge, les cheveux bruns et épais coupés en carré long, la peau très blanche, des taches de rousseur partout. J’ai pensé qu’elle n’était pas si belle que ça, avant de me rendre à l’évidence : à côté d’elle, avec mon t-shirt à dodo en plastique, mes tongs bleues à l’effigie de Mickey et mes trente-cinq kilos, j’avais l’air aussi jeune et bête qu’asexuée. Elle m’a lancé un long regard calme.
Je détestais arriver à la phrase ultime, la stupidité de trop qui la condamnerait au silence pendant des heures. Elle suivait des yeux le coucher du soleil sur le lagon tout en tirant sur sa cigarette.
Il y avait chez nous un goût pour l’argent – je veux dire l’argent liquide, l’argent qu’on gagne vite, les billets qui filent entre les doigts. Nous n’étions bien sûr pas assez bêtes pour imaginer qu’avec une somme pareille ma mère serait à l’abri pour le restant de ses jours, mais Charles se sentait tenu de rapporter quelque chose à la maison, je crois.
Ma mère. Un personnage, disaient toujours les gens lorsqu’elle n’était pas là. Mais c’était ma mère. Grande. Plus belle que je ne voulais l’admettre. Ce n’était même pas de la beauté, d’ailleurs, c’était une façon d’être au monde que je n’ai jamais connue ailleurs. Un éclat de rire silencieux.
Elle ne respire que la vengeance, et il n’est point de forme qu’elle n’emprunte pour trahir ou satisfaire sa rage. Elle est représentée armée de vipères, de torches et de fouets, avec la chevelure entortillée de serpents. »
« Tu vois », disait Victor, bien plus tard (tapotant machinalement l’index contre la couverture du livre ouvert en V). « La vengeance est une chose considérée comme sacrée, même par les dieux, depuis toujours. Et est-ce que ce n’est pas marqué ? Regarde : Les Furies, etc., etc., leur mission ? Punir les parricides. Les parricides, Palma ! »
Mieux vaut être folle parfois : de longues plages d’absence où le réel ne fait jamais irruption. À une certaine heure de la nuit, quand elle ne voyait plus rien, les cheveux de la Furie ondulaient, et venaient lui caresser la joue. Elles se mettaient à parler d’amour. Car c’est une évidence : si on enlève à l’amour toutes les choses agréables, si on lui soustrait la tendresse, la complicité, la présence de l’autre, si on y place la mort, la torture et le vide déchirant, il reste quand même le noyau pur.