T'écrire encore

Au-début je me suis dit : ça semble un roman à l'eau de rose, vais-je me taper ce genre de truc, sous prétexte qu'on m'ait offert ce livre. Déjà l'image de la couverture de ce récit et la typographie du titre sont kitsch et semblent annoncer une romance de ce genre. Et puis j'ai insisté, et puis, de page en page, j'en voulais tourner une autre, puis une autre, pour savoir le fin mot de cette histoire dont la forme est intéressante ― des lettres, principalement adressées à un amant, et une (une seule je crois) de la femme de l'amant, adressée à l'amante de son mari, et d'autres d'un avocat, et d'autres d'autres personnes, et deux ou trois articles de journaux au sujet d'un fait divers. La majorité des lettres sont écrites par une femme à un homme, son amant, dit-elle. Elle en est de plus en plus éprise et veut de plus en plus savoir ce qu'il en est de son côté (à lui) par rapport à elle. Et j'imagine que nous avons tous vécu quelque chose de semblable : être épris de quelqu'un qui ne se déclare pas, coucher et recoucher encore et encore avec cette personne, en être captif, attendre nerveusement que cette personne nous aime, nous dise ce qu'elle attend de nous, ce qu'elle projette. On en devient comme fou et on peut bien s'irriter, dans ce livre, en lisant les lettres de cette femme, s'irriter contre elle qui nous paraît cruche à force d'insister, de vouloir y croire alors que cet homme semble juste prendre un immense plaisir à coucher avec elle ; mais avouons-le, qui d'entre vous n'a pas été berné ; qui d'entre vous ne s'est pas berné ; et qui, ajouterai-je sans m'y attarder, qui d'entre vous n'a pas berné, hein. À lire les lettre de cette femme, on lit quelque chose d'ordinaire, on se lit, du moins on se lit dans des sentiments et dans une situation que l'on a éprouvés à tel moment de notre vie. Et c'est écrit comme vous et moi pouvons écrire. Ce sont des lettres d'une personne apparemment commune, des lettres qui ne cherchent pas à faire de la littérature. Mais l'insistance des lettres, la multiplication des lettres, et le déroulement, petit à petit, devant nos yeux, le déroulement d'un scénario, voilà où réside la création littéraire de ce roman. C'est l'histoire d'une vie ordinaire qui sort de plus en plus de l'ordinaire. Mais peut-être cette femme qui écrit ces lettres n'est pas ordinaire. Je le croyais au début, j'en doutais par la suite. Des ambigüité se creusent. Quoiqu'il en soit, au début je lisais ça de façon un peu mécanique, puis j'ai été de plus en plus captivé ; de page en page je lisais de plus en plus voracement. Et je n'en dirai pas plus sauf une chose : l'ambiguïté, oui, encore l'ambiguïté, voilà qui rend cette histoire obsédante. Sauf peut-être que cette ambiguïté ― je ne la dévoilerai pas ― s'émousse si au final de ce livre on est persuadé que cette femme qui écrit des lettres à son amant prouve absolument ce qu'elle cherche à prouver. Ah ! je crois qu'elle le prouve, mais je préfère ne pas en être certain, car ainsi ce roman me semble réussi jusqu'au bout.

Un roman épistolaire bien énigmatique. Une simple histoire d'infidélité qui tourne au cauchemar. Est elle folle ? Ou pas ? Très belle écriture.