Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates
Livre de bord - Liberty TV (à la fin)
Lire de bons livres vous empêche d'apprécier les mauvais.
C'est ce que j'aime dans la lecture. Un détail minuscule attire votre attention et vous mène à un autre livre, dans lequel vous trouverez un petit passage qui vous pousse vers un troisième livre. Cela fonctionne de manière géométrique, à l'infini, et c'est du plaisir pur.
J'ai tiré une table près de la plus grande fenêtre du salon pour écrire. Le seul problème, c'est que je suis sans cesse tentée d'aller me promener au bord de la falaise. Le mer et les nuages sont en perpétuelle métamorphose, j'ai peur de manquer quelque chose en restant à l'intérieur. Quand je me suis levée ce matin, la mer semblait pleine de piécettes d'or. Et maintenant, on la croirait recouverte de dépôts de citron. Les écrivains ont intérêt à vivre au coeur des terres ou près d'une décharge publique, s'ils veulent réussir à travailler un peu. Ou à se montrer plus persévérants que moi.
Quand mon fils Ian est mort aux côtés de son père, à El-Alamein, les gens qui me présentaient leurs condoléances ajoutaient souvent : "La vie continue", pour me réconforter.
Quelle bêtise me disais-je. Bien sûr que non elle ne continue pas. C'est la mort qui continue.
Ian est mort et il sera encore mort demain, l'année prochaine, à jamais. La mort est sans fin.
Mais peut-être y aura-t-il une fin à la tristesse. p.159
Les hommes sont plus intéressants dans les livres qu'ils ne le sont en réalité. p.79
Avez-vous remarqué que, lorsque votre esprit est focalisé sur une personne, sa présence se manifeste partout où vous allez ?
En attendant, le "Times" m'a commandé un article pour son supplément littéraire. Ils veulent présenter les vertus pratiques, morales et philosophiques de la lecture, dans trois numéros successifs, en faisant appel à trois auteurs différents. Je suis supposée couvrir l'aspect philosophique de la question, et jusqu'ici, mon unique argument est que la lecture vous empêche de devenir gaga. Vous voyez comme j'ai besoin d'aide.
De Juliet à Dawsey
3 février 1946
P. 52
Je n'ai aucune envie de me marier pour me marier. Passer le restant de mes jours avec un être à qui je n'aurais rien à dire, ou pire, avec qui je ne pourrais pas partager de silences? Je n'imagine pas d'existence plus solitaire.
Je me demande comment cet ouvrage est arrivé à Guernesey. Peut-être les livres possèdent-ils un instinct de préservation secret qui les guide jusqu'à leur lecteur idéal. p.21
J'ai moi aussi le sentiment que la guerre n'est pas terminée, par moments. Quand mon fils Ian est mort aux côtés de son père, à El-Alamein, les gens qui me présentaient leurs condoléances ajoutaient souvent : "La vie continue", pour me réconforter. Quelle bêtise, me disais-je. Bien sûr que non elle ne continue pas. C'est la mort qui continue. Ian est mort, et il sera encore mort demain, l'année prochaine, à jamais. La mort est sans fin. Mais peut-être y aura t'il une fin à la tristesse. La tristesse a englouti le monde comme les eaux du Déluge. Il faudra du temps pour qu'elle reflue. Mais, déjà, on peut distinguer des ilots... D'espoir ? de bonheur ? d'une chose de cet ordre là, en tout-cas. J'aime vous imaginer debout sur votre chaise, tentant d'apercevoir le soleil tout en évitant de poser les yeux sur les monticules de gravats.
Devoir envoyer ses enfants loin de soi pour les protéger, cela défie l'instinct de préservation. (P 330)