Citations sur Pleine et douce (50)
J’aime bien quand elle me serre contre elle, surtout quand elle a un décolleté et que je peux coller ma joue contre sa peau. C’est si doux, ça sent si bon. Elle dit qu’un jour je ne voudrai plus de ses bisous, qu’un jour même je la détesterai. Comment elle peut penser ça ? Quand je lui ai dit que je la quitterai jamais, elle m’a répondu en rigolant qu’elle allait me faire signer un papier pour me le montrer quand je serai grande. Je veux bien moi.
C’est une technique que j’ai apprise lors de mes préparations à l’accouchement : créer une zone haptonomique, une énorme bulle où les êtres et les choses se tiennent ensemble et se soutiennent, un espace harmonieux dans lequel la douleur peut alors être diffusée, partagée, atténuée donc. Ne pas rester repliée sur sa souffrance, ne pas perdre le contact avec le monde, se répandre pour ne pas condenser la peine ni bloquer le souffle. Toute la difficulté, c’est de maintenir ensuite cet équilibre par-delà les assauts des contractions ou le tranchant des mots.
Et ce bébé, cette adorable enfant, pourrai-je la prendre dans mes bras sans défaillir ? J’ai peur que mes jambes tremblent, j’ai peur de recevoir ce bonheur en pleine face et que ma vie devienne une tragédie pour de bon.
J’étais une entorse, l’exception qui confirmait sa règle conjugale, il me fallait donc accepter et la dissimulation et la séparation et le silence sans fin qui s’en suivrait.
Pourquoi ne conserve-t-on pas les chaussures de sa jeunesse ? Pourquoi ne garde-t-on pas trace de celle que l’on était quand la joie se faisait habitude ?
Je crois que c’est l’indolence que j’ai mise dans ces heures égrenées au soleil et le plaisir que j’en ai pris qui ont infusé mon corps et généré la vie. À rebours des recommandations anxiogènes, j’ai beaucoup marché, j’ai beaucoup mangé, j’ai même bu du vin. Chaque matin, je descendais prendre un café et m’empiffrer de croissants à la crème. Chaque jour, je partais en exploration, sans but mais non sans joie.
Je ne voudrais pour rien au monde endurer les charges immémoriales de la domesticité féminine, mais je ne suis pas pour autant lesbienne et je ne crois pas que cela puisse se décider. C’est le principe même du couple qui me débecte en fait. Qui a dit qu’il fallait être deux pour être heureux ? Moi, je mène ma vie à ma façon, sans subir aucune contrainte autre que celles du métier que j’ai choisi.
Les mères pitoyables à force d’efforts pour paraître ce qu’elles ne sont plus depuis longtemps, guettant dans le regard de l’autre, sur le corps de l’autre, la confirmation de leur supérieure apparence, sans voir qu’elles ne sont que deux versions de la même décrépitude sous contrôle dont seules les couleurs varient. Les pères rivalisant de tournures humoristiques et de compliments lourdauds, les verres en l’air, le ventre en avant, se fichant comme de leur première pipe de la félicité des tourtereaux.
Ensuite parce que cela m’oblige à cautionner ce à quoi tout mon être résiste depuis toujours. L’enfermement dans les cases qui garantissent une vie conforme, les rituels faussement joyeux qui entérinent la fin de la liberté. Il va donc falloir que je prenne sur moi et que j’accepte de faire aussi bien, aussi bon que d’habitude, quand je voudrais les voir tous grimacer et s’étouffer.
Les lumières m’agressent, les couleurs me blessent, j’envie ce bébé endormi dans son berceau qui échappe à cette débauche écœurante. Je me crispe, commence à gigoter et à geindre. Je ne veux pas de ces dentelles ni de ces volants, je ne veux pas que mes pieds disparaissent sous des vagues fragiles, je ne veux pas me dissoudre dans ces volutes trop brillantes. L’a-t-elle compris ? On dirait bien, car voilà qu’elle arrête la cavalcade pour me demander, enfin, ce que je pense de cette petite chose toute simple.