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Critique de RogerRaynal


Cette anthologie en deux tomes, chacun contenant une trentaine de nouvelles, présente une grande variété d'auteurs et de styles. le choix des oeuvres a été réalisé par une équipe de critiques et d'auteurs japonais de l'époque (fin des années 80). Si on y retrouve certains noms bien connus (Mishima, Tanizaki, Kawabata, Ôe, Sôseki…), la plupart des auteurs nous sont inconnus, car c'est la première fois qu'ils sont traduits, et à ma connaissance, les choses n'ont pas beaucoup avancé pour eux depuis les années 1990 !
Toutefois, cela s'explique aisément. L'éditeur nous assure sur la quatrième que les soixante nouvelles sélectionnées « embrassent la production littéraire japonaise depuis le début du siècle jusqu'à l'après-guerre » . Ce n'est pas tout à fait exact. La majorité de nouvelles se concentrent entre deux époques : la fin du 19e siècle (premier tome) et la période entre la fin de la guerre et les années 70. Elles nous décrivent logiquement un Japon, et une vie quotidienne, très différents de celui que nous connaissons : le pays est pauvre, la faim est une préoccupation quotidienne, les maladies nombreuses et l'activité économique chaotique. La délinquance n'est pas rare, et pour s'évader de ce quotidien plutôt glauque, de nombreux auteurs donnent à leurs récits une connotation onirique. Certains, marxistes convaincus, à défaut d'être convainquant, nous décrivent avec talent la vie quotidienne des masses laborieuses où les familles font savoir aux anciens qu'ils n'ont que trop vécu, et se les refilent en espérant les voir expirer au plus vite ! (« l'âge des méchancetés », Fumio Niwa, vol. II). Autour de la guerre, des récits prenant prétexte de la mort d'un animal sont aussi très éloignés de notre sensibilité actuelle.

Les nouvelles de cette anthologie sont de « vrais » nouvelles, le plus souvent de quelques dizaines de pages et non, comme le voudrait la mode actuelle, de quelques pages, voire une seule ! On y trouve un sens partagé de la description : paysages, situations, pensées, voyages, au détriment peut-être de l'action ou de la chute, qui n'est pas ici le but recherché (bien que ce soit le cas dans d'autres nouvelles japonaises de la même époque que j'ai lues par ailleurs).

Si les deux volumes sont interessants, les « pointures » sont surtout regroupées dans le premier). On rencontre ainsi dans ce dernier « l'incident de Sakaï », de Ogai Mori, qui relate un accrochage entre des marins français et la population du port de Sakai en 1868, provoquant un seppuku général devant des officiels français terrifiés par ces suicides rituels. On y rencontrera aussi la célèbre nouvelle « Le pied de Fumiko », de Tanizaki ; le très amusant journal d'un officiel japonais visitant le Paris de 1872 ( par Mitsuo Nakamura) et un très interessant texte de Mishima, « du fond des solitudes ».

Il arrive aussi que l'on rencontre une nouvelle qui décrive en détail un aspect typique de la vie japonaise, ce qui n'est pas toujours passionnant : ainsi, alors qu'une nouvelle explore (laborieusement) en profondeur l'univers du théâtre Kabuki (« on ne vit qu'une fois », Kiku Amino, vol. II) ; une autre (« note sur ceux qui prirent la mer à la recherche de la terre pure » - Yasushi Inoue, vol.I) parvient à traiter sur un mode humoristique les errements des supérieurs d'un temple contraint d'embarquer, la vieillesse venue, pour un voyage sans retour.

Evidemment, chaque lecteur trouvera dans ce foisonnement matière à admirer, rêver ou même s'ennuyer, mais l'ensemble mérite largement d'être lu. Parmi les nouvelles présentées, au delà de celles, magnifiques, de Mishima, Kawabata et Tanizaki, je retiendrai les noms de Aya Koda (le kimono noir, vol. II) et Yoshiki Hamaya (la lettre dans un baril de ciment, vol II).

Cette anthologie ayant tout de même trente ans, depuis une nouvelle génération d'auteurs, véritablement contemporains et sans doute davantage traduits, occupent le devant de la scène (et les emplois du temps des traducteurs, qui sont moins nombreux que les soldats !). Chaque nouvelle est suivie d'une courte notice présentant l'auteur, ses oeuvres principales et celles disponibles en français. C'est l'occasion, au hasard de ces notices bibliographique, de voir combien d'oeuvres japonaises reconnues n'ont jamais été traduites.

Les traducteurs, au travail si difficile ici (ils ont été épaulés par une équipe japonaise de spécialiste de littérature française), sont nombreux. Parmi ceux qui ce sont occupés de plusieurs nouvelles, citons Marc Mécréant, Jean Jacques Tschudin, Anne Sakai et Jean Cholley. Tous ont réalisé un excellent travail, sur des textes difficiles, confinant parfois au surréalisme, et donc particulièrement difficiles à transcrire (mention spéciale à Anne Sakai pour « ces journées telles qu'en rêve » de Toshio Shimao, qui n'a pas dû être simple à transcrire !)

Ajoutons pour terminer que ces deux épais volumes de 600 pages respirent la qualité et, malgré une couverture dont la qualité se dégrade visiblement entre le volume I et II (on passe, d'une solide couverture plastifiée en 1986 à un carton brut trois ans plus tard - il n'y a pas de petites économies), qu'ils supporteront de nombreuses lectures, relectures et consultations pour une plongée en eaux profondes dans les origines du japon moderne.
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