Libre.
Teyssier avait plusieurs fois répété ce mot.
Il avait eu comme un éblouissement.
Et si toute la grandeur et le mystère d'un homme tenaient dans ce petit mot, LIBRE.
Si chacun de ceux qu'il venait de côtoyer, de chasser aussi, les deux femmes — qu'il ose le dire : les deux putains —, le vieux maire, et Victor Rovini, et Jean Carlin, n'avait pas d'abord voulu rester cela, libre, libre de choisir, d'obéir, d’aimer. Et si c’était là, dans ce petit mot, que résidaient la force et la faiblesse de ce peuple, auquel l'étranger pouvait s'associer librement, dès lors qu'il acceptait de rester un homme libre, décidant seul du chemin qu'il voulait suivre ?
« Les hommes naissent libres et égaux en droit. » Libres.
Teyssier avait pensé qu'il avait choisi librement de demeurer à son poste, et d'exécuter un ordre.
« Pour une belle obéissance et tendresse et dévotion d'homme libre », avait encore dit Péguy.
"_Vous n'êtes pas choqué, capitaine ? C'est encore la guerre. C'est vous qui l'avez dit. Il faut se dépêcher de vivre."
Mais tout cela était dérisoire. Les colonnes de blindés allemandes avaient dû, déjà, par les grandes routes et les larges ponts, enjamber les rivières de France, et peut-être avaient-elles rejoint Bordeaux où le gouvernement, comme en 1870, s'était réfugié.
Alors un pont de plus ou de moins !
Il s'était pourtant redressé. Et il avait commencé à remonter la pente.
Miner et faire sauter ce pont, c'était peut-être le dernier acte qu'il devait accomplir, comme un geste de fidélité aux camarades morts, à ce qu'avaient été les espoirs de sa vie, et tout simplement parce que c’était l’ordre reçu et qu'il devait l’exécuter.
« Puisqu'il faut, ô mon Dieu, qu'on fasse la bataille, nous vous prions pour ceux qui seront morts demain : mon Dieu, sauvez leur âme et donnez-leur à tous, donnez-leur le repos de la paix éternelle », avait dit la Jeanne de Péguy.
"Libre.
Teyssier avait plusieurs fois répété ce mot.
Il avait eu comme un éblouissement.
Et si toute la grandeur et le mystère d'un homme tenaient dans ce petit mot, LIBRE.
Si chacun de ceux qu'il venait de côtoyer, de chasser aussi, les deux femmes -qu'il ose le dire : les deux putains-, le vieux maire, et Victor Rovini, et Jean Carlin, n'avait pas d'abord voulu rester cela, libre, libre de choisir, d'obéir, d'aimer. Et si c'était là, dans ce petit mot, que résidaient la force et la faiblesse de ce peuple, auquel l'étranger pouvait s'associer librement, dès lors qu'il acceptait de rester un homme libre, décidant seul du chemin qu'il voulait suivre ?"
"Est-ce que c'est possible de traverser la vie comme ça, la tête dans un rêve ? Je le jalouse et il m'accable ! Mais je n'aimerais pas qu'il soit obligé de renoncer à sa foi. Ne le forçons pas à tuer, capitaine, peut-être que des gens comme lui sont utiles. Dans ce monde, il n'y a que la boue, le sang, la merde, parfois il y a des fleurs."
"Ce sera ça, l'ordre, et quand l'ordre règne, les gens, qu'est-ce qu'ils font ? Ils baissent la tête. Ils acceptent, et ceux qui gardent le menton levé, on les tue. Voilà ce qui va se passer."