Avec ce faible bagage d’informations, Tarang plongea dans l’abîme d’Intellect et de ses quadrillions d’octets neuronaux échangés par seconde, pour en savoir davantage sur les événements de New York. Les yeux fermés, emporté par ce tourbillon d’immédiateté, de live thinking et de pensées à chaud, il en découvrit avec effroi les images, dont il douta d’abord de l’authenticité, tellement elles l’horrifièrent – et tellement le réseau fut, par habitude, empli de faux en tous genres : fakecogs générés par des cerveaux artificiels, souvenirs retouchés, idées tronquées et remaniées. Il prit connaissance du contexte de ce suicide, de ce discours incompréhensible de Dolores, ses mots de folie, hélas ! authentifiés, son regard tremblant, la panique, son geste, les cris. Puis il vit Esther, sur la scène, les mains pleines de sang et dont le regard ne pouvait, lui, mentir. Esther…
Esther était apparue très fatiguée, vidée de force et de larmes. Affronter le suicide de l’être aimé consumait toutes les ressources de son âme. A fortiori parce qu’elle n’avait jamais perçu le moindre indice d’un désespoir aussi grand. Esther d’ailleurs pouvait-elle en être la cause ? L’avait-elle aimée comme il fallait ? Qu’elle se posât ou non la question, Esther avait bien compris que les autres se la posaient pour elle. Être la veuve d’une suicidée, c’était comprendre qu’on était un peu, aux yeux des autres, quoi qu’on eût dit ou fait, sur le banc des accusés. Il fallait donc redoubler d’efforts pour surmonter l’épreuve : le deuil d’un côté, l’absolution de l’autre.
- Tu as dormi dans une poubelle ou quoi ? Lui demande-t-il en observant son ami mal rasé, la queue-de-cheval mal ajustée, les vêtements froissés et constellés des poussières du canapé.
- J'aime tes bonjours, ils me rappellent mon ex-femme, répondit Garang.