Le gracieux don de bâtir ces hautes voûtes éphémères où résonne
mêlé aux brefs appels pointus le bonheur du regard d'habiter
ces traits qui volent et dessinent leurs arcs innombrables lumière sur lumière –
parfois, on ne sait comment
une clarté mûrie dans la chair
d'une longue leçon de ténèbres
éclôt et l'esprit peut toucher un instant
ce que ni mots, ni musique, ni rien
ne peuvent imaginer, ni dire -
NUITS
certains jours les pierres
essaiment dans le soir
leur ciment de gravité
les mots dissous
l'œil et la main pris dans l'élan illicite –
*
une vieille photo de famille
mince supplément au voyage
qui cherche humblement l'oubli –
(LA MAISON PRÈS DE LA MER)
étranger.
Sauf en ce silence oublié
où se meut l’ardeur d’être ici
clarté confiante en sa source.
Étranger, sauf en cette roche
où affleure une eau impensée
« Étranger », extrait
(éd. Gallimard, coll. Blanche, 2001, p. 200)
Éteins la parole…
Éteins la parole
éteins la pensée
et va ! vole ! tombe !
sans haut ni bas
aspiré, foulé
dans les failles de l’air
entre courbures d’une mélodie
que personne ne joue –
Que la joie est simple au bout du cheminement obscur !
Comme ces minces pellicules donnent corps à la lumière !
Regarde comme il fond ce peu
de blanc tombé au fond de l'œil !
Les amandiers dans la nuit !
Ô les dents de clarté !
Pulsation sourde d'étoiles
dans l'épaisseur de la terre –
(AMANDIERS)
pulsation du même
perlement continu
« La maison près de la mer », I, 3, extrait
(Éd. Gallimard, coll. Blanche, 2001, p. 72)
Poèmes d’été à Sidi-Bou-Saïd
à Roger et Patricia Little
extrait B
C’est la seule écriture que tu puisses lire aujourd’hui
Comme si ta rétine et les neurones gris où s’élaborent
et se dissolvent ces dessins purs d’un seul élans tracés
(dans le bruissement discret de courants et de chimies)
comme si les plus fins rameaux de ton souffle et de ton sang
tout ce que ton esprit croit comprendre et ignore,
les espaces et une pensée infiniment ouverts
étaient fondus dans le même déploiement
en cette musique où chaque note est un cœur
au rythme, harmoniques et timbres singuliers –
Sois tolérant pour les failles et faiblesses,
accueille le silence dans les mots qui s’accroit
tout comme le dépouillement des vieux jours
rappelle-toi ce que tu as perçu d’invisible au désert –
la brise du petit matin cueille en passant
l’odeur des genêts et soulève le rideau –
Terre dévêtue
Terre usée
Lumière friable
Saveur sans fond
Étrange saveur de chair nue
Ruinée, moulue
Comme un blé nouveau
Déjà mûr de sa musique
Qui monte dans les tiges du couchant –
Paysages dont seul persiste l'élan
La montée de sèves dans la soif
Les plus nues collines de l'esprit
La seule respiration de la fugue –
« Poussière de Judée », extrait
Éd. Gallimard, coll. Blanche, 2001 - p. 190
l'été frileux dans ses décombres
montagnes et lueurs craquelées
la chaude nudité du temps
venue de si loin m'irriguer
de tout l'étonnement de l'amour –