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Critique de michfred


Guerres, où sont vos victoires ?

Dans un livre sombre et noir, presque sans espoir, c'est la question que semble, de façon lancinante, nous poser Laurent Gaudé, en visitant quelques unes d'entre elles : celle du Négus, pour restaurer la dignité bafouée de l'Ethiopie, après sa défaite devant l'Italie mussolinienne, celle d'Hannibal dans son rêve de mettre Rome à genoux, de la victoire de Canne à la défaite de Zama, et celle du général yankee Ulysses Grant, le « boucher » intrépide de l'armée unioniste.

A côté de ces trois silhouettes historiques, trois personnages de fiction qui se débattent et tentent d'agir dans les guerres d'aujourd'hui : Mariam, une belle archéologue irakienne qui tremble que la barbarie de Daesh ne détruise les plus beaux fleurons de l'ancienne Mésopotamie, Assem, un agent très spécial chargé de « neutralisations » sinistres pour le compte des services secrets – une brève mais fulgurante nuit d'amour a scellé entre ces deux personnages un lien que rien ne semble vouloir détruire- et le troisième, Sullivan Sicoh, qui a pris le surnom très significatif de Job - un autre agent très spécial, revenu de tout, incontrôlable et devenu, pour Assam, son ami, la nouvelle « cible » à neutraliser.

Pourquoi, mais pourquoi avoir noyé aux trois-quarts ce sujet poignant, d'une brûlante actualité, dans un procédé littéraire tellement appuyé, tellement répétitif, qu'il en devient constitutif du récit…pour notre plus grand malheur ?

En usant et abusant du principe de l'écriture « blanche » faussement froide, pesamment lyrique et follement tendance, Gaudé entrelarde son récit fictif du développement séquencé de ces trois fresques historico- morales, esquissées à grands traits -pour Hannibal, j'avais l'impression de relire le Mallet-Isaac de ma jeunesse !

Donc, il entre-tissse quatre récits, à grand renfort de « il » - le principe premier de l'écriture blanche : ne surtout jamais nommer ce dont on parle , feindre d'en ignorer l'existence - histoire de tester si nous avons encore en tête le lointain épisode précédent et avons reconnu du premier coup d'oeil , dans ce « il » , le petit Négus- mais si grand devant la SDN, mais si cruel dans les intrigues de palais- ou encore l'idéaliste Grant- mais si ivrogne qu'il en perd l'estime de soi, mais si radical dans sa quête qu'il en devient sanguinaire- à moins que ce ne soit le grand Hannibal- mais si aidé par ses éléphants, mais si trahi par Massinissa.

Je sens que je m'énerve un peu, là…

Ce n'est pas qu'on soit perdu, c'est pire : on est lassé et bientôt déconnecté.

J'ai dû me faire une vraie violence pendant plus de la moitié du récit, lire et relire, comme on hume un « puissant dictame », les critiques emballées de mes amis babéliotes pour maintenir mon attention et attendre, qui sait, que le charme, enfin, sur moi agisse ! Comme je suis quelqu'un de bonne volonté, malgré mon ironie crasse, ça a fini par marcher : tout à coup, la mayonnaise a pris, et j'ai pu dévorer le dernier tiers du livre avec intérêt.

Mais je ne peux passer sous silence ces heures longues, énervées, agacées où j'ai maudit ces écrivains qui « truquent » même quand ils ont une bonne idée, un beau sujet, de beaux personnages.

Allez, je vais risquer une dernière iconoclastie : je trouve que, sur le même propos, DOA, auteur de thrillers politiques bien noirs, est, dans PUKHTU , mille fois plus percutant, captivant et que, sans faux lyrisme, sans interrogations pseudo philosophiques, il fait infiniment plus réfléchir à ce qui est hasardé dans nos fausses victoires, à ce qui est enseigné par nos vraies défaites, à ce qui est en jeu dans le Proche-Orient en flammes et à quelle désespérante solitude sont vouées les dérisoires initiatives individuelles dans ce vaste marigot !

J'ai réussi à terminer le Gaudé : j'ai bien mérité de lire le tome deux de Pukhtu !


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