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Citations sur Trente mille jours (9)

J’aurais traversé le siècle sans avoir éludé jamais les épreuves qu’il me réservait, celles qui nous sont à tous communes et les miennes propres, respectivement si dures à chacun. La loi commune, l’adolescence venue, a requis et pétri l’enfant que j’avais été à des fins qui n’étaient pas les siennes. Et cependant, au fond de lui, presque éteinte, toujours vivace, une petite lueur veillait que la bonace eût peut-être éteinte, mais que la tourmente et l’orage ont ranimée inextinguiblement. Pour l’homme que j’ai été, chaque fois qu’il l’a fallu, c’est la mort qui, soulevant le voile, a ramené son cœur et ses yeux vers la vie. C’est son intercession qui m’a rendu au monde intemporel, celui des « longs échos qui de loin se répondent », des « forêts de symboles » familières au pays de Baudelaire, d’Apollinaire et de Nerval.

Il y a plus d’une place dans la maison du Père. Roger Caillois, peu de jours avant de mourir, comme il lui était demandé « quelle image il aimerait que l’on gardât de son œuvre et de lui », répondait : celle d’un poète, et qui ose dire « je ne parle qu’en mon nom mais comme si chacun, dans mes mots, s’exprimait autant que moi » ; d’un poète qui ose dire : « Je m’adresse à un interlocuteur invisible, de façon telle que chacun peut avoir l’illusion que mes mots ne s’adressent qu’à lui. »
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Chaque jour était comme une naissance. Persistante, ma tristesse devenait consentement. Autant la mort de ma mère avait rué mes douze ans vers la détresse et la révolte, autant celle de mon père s’intégrait à un ordre du monde qui m’intégrait moi-même à la coulée du temps, à la réalité d’un univers qui tout ensemble dissolvait mon être et l’augmentait inépuisablement. Pas une aube, pas une heure du jour qui ne me fussent révélation, ferveur. Aujourd’hui, je pense que la guerre avait passé par là, sa cruauté, ses aberrations, sa bêtise. Les Vernelles me réconciliaient, me rendaient à une liberté où il m’était donné de me connaître dans ma vérité la plus vraie, et ainsi à ma vocation.
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Pendant ma longue appartenance à ma province, au Val de Loire, à la forêt orléanaise, aux étangs et aux brandes de Sologne, c’est la légende qui m’a tenté, sa poésie intemporelle dans un monde où les signes ne répondent qu’à la patience de la quête et à la ferveur de l’appel. Chaque livre, et ainsi tous mes livres, en portent le même témoignage. Autour de moi le monde changeait, et les hommes, et leur condition d’hommes. De ce branle obsédant où j’étais moi-même entraîné, je n’ai pu ni voulu m’abstraire. Mais toujours, au-delà du quotidien, de sa rumeur ou de sa frénésie, j’ai guetté, poursuivi, comme Bonavent le cerf de la Forêt perdue, par les voies traversées de soleil et d’ombres où se dérobent et bougent les secrets de nos destinées, la permanence des symboles où se rejoignent la mort et la vie.

Régionalisme, réalisme, naturalisme, symbolisme, animisme, unanimisme, je ne récuse rien. Pourquoi ? Tout est bon, tout est légitime si le mot est docile, le ton juste, la phrase exacte ; et si le mot, le ton, la phrase sont, enfin et surtout, les nôtres. Le fleuve, l’arbre, l’animal, autant que l’homme m’ont dicté les miens. Leur patience et la mienne ont fait, à la longue, amitié. Promeneur familier de la forêt, enfant, adolescent, soldat meurtri devenu écrivain, j’ai été d’abord, par les routins herbus et les layons de la forêt orléanaise, pareil au peintre que le motif arrête, qui plante son chevalet et qui peint ce qu’il a sous les yeux, ce qui vient de s’offrir à lui et qu’il ambitionne de « rendre ». Ainsi de moi, dans Forêt voisine. Lieux-dits, futaies, mares perdues, tout est nommé, reconnaissable, repérable. Mais le Nocturne des dernières pages, déjà, présage une libération.
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J’avais, lorsque j’ai découvert les Vernelles, trente-sept ans ; la quarantaine, à quelques mois près, lorsque j’y ai fixé mon ancre, pour vingt ans. Mais si je veux donner à sentir la nature et la force des liens qui m’unissent à ce fleuve, à ce Val, à cette lumière, il me faut remonter bien au-delà, en fait jusqu’à ma naissance. Je le ferai, mais librement, avec une spontanéité qui admette le primesaut, l’imprévu, les digressions, les détours et les retours qui font le charme des promenades, même au fil de chemins familiers.
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Bonjour ! C'est moi ...
Deux bons,bons vieux , lui a dit le fils. Deux vieux vignerons des côtes du Cher,cassés,les deux bouts ensembles comme nos vignerons de la Bonne- Dame.Ils tremblent un peu l'un et l'autre, le vieux du catère des vignerons, la vieille de tendresse maternelle. Il répond à leurs questions sans fin,il les comble,il les aime déjà .
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Cet homme avait dû être atteint d'une balle à la moelle épinière. Incapable de bouger, d'articuler une parole distincte, son corps gisant, son regard à présent persistaient à m'arrêter, à d'avertir. Mais c'est en vivant, moi debout, que j'ai d'abord réagi : Aie confiance, vieux, Tu vois,je descends.Mais je vais bientôt remonter, je ramènerai les brancardiers. Promis. À mesure que je parlais, je voyais son regard changer.Dans ce visage immobile,déjà spectral, les yeux seuls continuaient d'exprimer, de nouveau agrandis par l'anxiété, la tristesse de n'être pas compris. Et lorsque en effet tout à coup, dans une fulguration bouleversante ,il me sembla comprendre enfin,lorsque je murmurai,comme si j'eusse parlé à sa place : Que je fasse attention, moi ? Que je vais me faire tuer si j'avance ? ,la lumière que je vis monter dans ce regard d'agonisant m'a fait mieux homme, et pour toujours.
Qu'est l'idéologie qui ne soit en même temps une façon de vivre, et pour le moins une aide à vivre ? Ce regard d'homme, cette joie sur le visage exangue d'un homme qui se savait perdu, tout espoir pour soi révolu, et qui vouait sa dernière lueur de vie à sauver la vie d'un autre homme, c'est un viatique, et c'a été le mien.
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C'est vingt-deux mois plus tard qu'on afficha dans les communes de France l'ordre de mobilisation. Depuis le drame de Sarajevo, l'Europe vivait dans la fièvre et l'attente. Après quarante-trois ans de paix, quel peuple, de l'Atlantique à l'Oural, eût cru encore à la possibilité d'un conflit armé ? Habitudes, milieux sociaux dans leur diversité, informations, culture historique, raison, logique, goût du confort et foi dans le Progrès, tout convergeait vers cette sérénité. Les guerres des Balkans, les images qu'en avaient donné les périodiques illustrés, plus leur réalité avait heurté les sens et les cœurs, plus elles avaient semblé choses d'ailleurs, reflets d'un monde archaïque et barbare qui ne nous concernait plus. Personnellement, j'avais entendu Déroulède, debout sur l'ossuaire de Champigny, le bras tendu vers « la ligne bleue des Vosges », appeler à la revanche et sonner son clairon. Quelle stupeur avait été la mienne, et quelle colère !
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Autre chose me requiert aujourd’hui, un retour en arrière qui appelait d’avance la plongée d’où j’émerge à présent. Puissé-je, au point où me voici, avoir donné à sentir la réalité bouleversante qui a transmué l’enfant d’un autre siècle en l’homme qu’il est devenu, orphelin de lui-même tout au long de ses années terrestres, s’il est vrai que sa vie d’autrefois ne redevient la sienne qu’au lointain fabuleux de l’imaginaire ou du songe, dans la lumière d’un monde révolu.
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Souvent aussi je me suis demandé ce qu'Hermand serait devenu si... si une intelligence libre de tout favoritisme avait, au lieu du hasard ou de règlements aveugles, inspiré les affectations des blessés encore utilisables. Hermand, guéri d'une blessure à la jambe, était resté boiteux et donc inapte à l'infanterie. Mais une myopie congénitale à n'y pas voir, debout, ses chaussures le désignait-elle donc irrésistiblement pour photographier de la nue les lignes et les ouvrages allemands ? C'était un être d'exception, souverainement intelligent. Quels services n'eût-il pu rendre si ?... Mais il est trop tard pour rêver.
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