Les larmes ruisselant sur ses joues, elle s'assied sur le siège des toilettes et extériorise son chagrin d'avoir perdu une fille. Pour la première fois depuis qu'elle a appris la mort de Jennifer, elle laisse ses sentiments s'exprimer. Elle voit l'image de sa petite fille chérie devant elle, livide et dénudée, couchée sur un brancard métallique luisant, dans une pièce couverte de carrelage blanc. Une vision insupportable. Il lui faut quelque chose à boire.
-Tu dors, mon bonhomme ? ( Il écoute le murmure doucereux de cette voix tant détestée ). Allez, faisons la paix avant que tu t'endormes, ca nous fera du bien.
Ce sont toujours ses paupières qui le trahissent.
C'est trop dur de les abaisser naturellement.
Pour une fois qu'un élément positif a lieu dans sa morne existence, voilà que tout est en train de se déliter. Il préférerait presque reprendre le chemin de son habituelle tristesse, plutôt que de vivre une telle félicité et de la perdre.
On ne parle pas de psychologie à la maison. La vie suit juste son cours. Il faut la prendre comme elle vient. Ce n’est ni bien, ni mal.
Il est possible que dans le brouillard qui l'enveloppe, la perte de Jennifer lui cause du chagrin, qu'elle éprouve des sentiments pour ses filles. Mais rien ne se voit à l'extérieur. Quand elle parle avec des personnes sobres, comme les deux policiers qui sont passés plus tôt dans la soirée, elle fait tellement d'efforts pour masquer son alcoolisme qu'elle perd tout son naturel. Elise voit alors sa mère adopter un phrasé affecté et ridicule, tenter de prononcer toutes les consonnes avec précision, jusqu'à prolonger chaque mot de façon idiote et exagérée. Dans ce genre de situation, Elise a honte de sa mère. Elle la préfère encore quand elle est juste soûle. Au moins, elle est elle-même.
Lundi soir
- Mais que vont dire les gens...?
C'est la seule phrase qu'elle laisse échapper.
Sjöberg trouve les mots détestables. Des propos qui conditionnent la vie de tellement de personnes, dans ce pays où il faut toujours savoir rester discret.
- On a donc un éventuel scénario sur lequel travailler, constaté Sjöberg. Une femme avec une poussette fauchée par une voiture. Tout simplement un accident avec délit de fuite.
- Avec dans ce cas une brute diabolique, qui vide les poches de la victime, cache le cadavre et laisse mourir un bébé dans les fourrés, tonne Sandén.
A son travail, c'est la même chose. Il est incapable de se concentrer s'il y a des papiers et des dossiers sur sa table. Les classeurs doivent être bien rangés sur l'étagère, les papiers bien classés, et il en va de même pour les accessoires. A titre d'exemple, le pot à crayons et la perforeuse doivent être placés de manière symétrique et à la bonne distance sur son plan de travail. Il a besoin de cela pour se construire un environnement calme et harmonieux, avec le moins de distraction possible.
Septembre 2007, vendredi soir
Il considère que la vie en prison sera plus pénible pour moi que pour lui, parce que je suis flic. Qu'est-ce que tu veux répondre à ça ? Il a sans doute raison.
C'est horrible de constater combien on peut être seul dans une ville, même entouré de plein de gens. Isolé au beau milieu de la foule.