- J’ai besoin de réfléchir…
- Je compris plus tard que quand une femme vous demande ce genre de chose, ce n’est pas bon pour le petit commerce amoureux. Ça annonce plus la fermeture de boutique que la prolongation du bail.
Ça chauffait dur en Russie, de l’Ukraine à la Baltique. Lénine avait signé la paix, mais la guerre était devenue civile, têtue comme elle était…
La guerre, quand elle est arrivée dans les maisons, les premières heures, faut être honnête, elle a charmé son monde comme un chiot dans son petit panier tricolore, mais elle a mal grandi, la bestiole ! On imaginait qu'elle nous ramènerait la victoire dans la gueule, en gardant le poil propre et le fusil en bandoulière ! On s'était gourés de clébard !
- Tu te laisses pousser la barbe ? Il nous fait son petit Lénine… C’est nouveau ça.
- Mon cher Gervasio, une révolution imberbe, ça fait pas sérieux… Ce sont les petits détails négligés qui perdent les grandes causes !
Les lettres, c'est un peu comme les obus, on les attend plus et elles vous tombent dessus ... et elles vous découpent le cœur en morceaux, sans faire de bruit, on s'en doute pas en les ouvrant.
La misère russe, j'ai pas connu plus noir. Si, dans les tranchées bien sûr, mais là, elle avait bouffé l'arrière. Un morceau de pain ou de charbon se payait les prix fort, en heures d'attente surtout. Elles y dépensaient leurs nuits, les femmes soudées par le froid, en troupeau ou en chapelet, la largeur du trottoir décidait.
On peut passer une nuit avec quelqu'un sans partager ses rêves.
J'avais fait une belle connerie. En me dénonçant, j'espérais peu de choses, juste le bénéfice d'un peloton d'exécution radical, pour solder ma petite existence accumulant les naufrages.