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Critique de MonsieurKiwi


"La porte étroite" est un court roman, à l'intrigue simple et resserrée autour des deux figures que sont Jérôme - le narrateur - et Alissa ; tous deux sont cousins, et nourrissent un amour mutuel, dès l'enfance, avant même qu'ils en aient pris conscience. Au fil des années cet amour ne fait que s'affirmer, fortifié par la proximité spirituelle et religieuse des deux promis. Mais à mesure que la perspective des fiançailles se dessine, Alissa se referme, se montre fuyante, d'abord au prétexte de faire le bonheur de sa soeur Juliette - qui aime aussi Jérôme - pour qui elle est prête à sacrifier son amour, puis de ne pas s'éloigner de son père malade ; une fois ces obstacles levés, Alissa tente alors de repousser son amant - alors même qu'elle confie à son journal ne jamais l'avoir autant aimé - par son attitude, en s'enfermant dans une piété qui appauvrit et son corps et son esprit.

Car il apparaît vite qu'Alissa est déchirée entre la perspective de ce bonheur immédiat, terrestre, qui lui tend les bras, et l'aspiration à la pureté et à la vertu. Elle en vient à détruire la possibilité de son bonheur, et de celui de Jérôme, par cette exigence de sainteté, dans laquelle elle finit par se noyer. Jérôme lui-même a fait l'effort de la vertu, mais pour rejoindre Alissa ; celle-ci, au contraire, n'y voyant qu'un chemin vers une félicité plus grande - "Dieu nous ayant gardé pour quelque chose de meilleur" - cherche à s'effacer, à se soustraire, à sacrifier son amour pour la connaissance de ce "meilleur" - et pour que Jérôme puisse aussi le connaître. Il m'a toutefois semblé qu'il n'y avait pas, ou si peu, d'humilité dans la démarche d'Alissa, mais au contraire un orgueil démesuré, insoutenable, l'orgueil de la vertu et du sacrifice - Alissa ne se dit-elle pas blessée que le bonheur de sa soeur n'eût pas nécessité son sacrifice ? - que le roman met très bien en lumière.

De ce que j'ai pu lire par ailleurs, le roman est riche d'éléments autobiographiques, de l'enfance protestante austère et rigoureuse, à l'institutrice anglaise, en passant par l'amour spirituel et intellectualisé de sa cousine. Je ne crois pas qu'il faille y lire une diatribe contre la force stérilisante de la religion, même si l'on sent que Gide désapprouve cette course acharnée vers la sainteté - qu'il a pu connaître ou côtoyer - mais davantage un récit d'amour impossible, contrarié par l'attitude désespérée et pathétique de son héroïne. L'écriture de Gide est parfaitement classique - c'est déjà ce qui m'avait marqué à la lecture des "Faux monnayeurs" - mais sans même ici d'avant-gardisme dans la construction du roman. Sans doute le livre paraît-il aussi un rien désuet, par son style - toutefois très beau - et par un certain nombre de problématiques qu'il met en scène. Mais cela lui ajoute un charme indéniable, sans affaiblir nullement la dimension tragique d'une histoire d'amour au fond intemporelle.
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