AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lamifranz


Ne cherchez pas : si vous vous attendez à des hussards assoiffés sur fond d'envolées chopinesques, vous n'y êtes pas du tout. Point de Pologne ici : nous sommes aux alentours d'une petite ville, un gros bourg, disons, qui ressemble – tiens donc – à Manosque. le Moulin de Pologne est le nom d'un domaine. Une belle propriété déjà ancienne, qui porte sur elle comme fatalité. le nom viendrait d'un pèlerin polonais en route vers la Terre Sainte, qui y aurait bâti sa cabane. Un nommé Coste, revenant des guerres de l'Empire, s'y serait installé. Avec lui, c'est la guigne, la mouise, la poisse qui s'installent sur le domaine. Après avoir perdu sa femme et ses deux fils dans des circonstances tragiques, il lui reste deux filles à marier. Il y arrive grâce à une entremetteuse mais la malédiction du domaine continue : de génération en génération, les morts violentes se succèdent, on en arrive à la dernière survivante, Julie, qui, non seulement est victime de la sale réputation de scoumoune de sa famille, mais en plus est défigurée et tenue à l'écart de tous. du moins jusqu'à l'arrivée de Monsieur Joseph...
« le Moulin de Pologne » fait partie de ces « Chroniques » dont la caractéristique principale est de déconcerter le lecteur : ici le narrateur (il n'y en a qu'un, cette fois) nous raconte l'histoire du domaine depuis Napoléon : au résumé que j'en ai donné, on pourrait croire que le thème principal est la fatalité, comme dans les tragédies antiques. Il y a un peu de ça, mais pas seulement : Giono ici ne se réfère pas spécifiquement à Virgile, ni à Eschyle, Sophocle ou Euripide, la fatalité est seulement un argument de romancier.
Et le romancier tient la première place : c'est lui qui tire les ficelles, qui longuement décrit la machination de la fatalité au cours des années, et qui, par un artifice qui lui est familier, (l'intrusion d'un homme providentiel, ici Monsieur Joseph), dénoue l'intrigue.
Mais, cette tragédie, Giono décide de la traiter en opéra-bouffe : il mélange comédie et tragédie comme Shakespeare, ou comme dans le « Don Giovanni » de Mozart (deux références absolues pour le poète de Manosque).
Cette situation est parfaitement analysée par Janine et Lucien Miallet (Présentation du roman dans La Pléiade) :
« Ainsi la chronique si complexe du « Moulin de Pologne », que le mode d'écriture adopté nous convie à contempler avec le détachement et la passion que l'on accorde en même temps au pur spectacle, peut-elle offrir, de façon peut-être encore plus totale qu' « Un roi sans divertissement » la fusion du comique et du tragique […] Mais le comique est comme englobé dans le tragique, et tous deux se répondent en écho […] Giono joue avec le lecteur, et nous conseille finalement de cultiver nos fleurs, si nous pouvons. Nous attendons, d'un bout à l'autre du livre, une révélation qui nous est dérobée – puisqu'il n'y a pas de vérité. Cette démarche un peu frustrante nous propose, sans insister, une vision du monde proche du désespoir et une esthétique de l'ironie »
C'est un peu le sentiment qui ressort de la lecture de ce roman : autant on reste toujours admiratif de la prose de Jean Giono, toujours aussi fluide et aussi « parlante » (bien qu'il y ait peu de descriptions et peu de dialogues), autant on a l'impression d'être resté spectateur, de n'être pas véritablement entré dans le roman.
Chacun des romans de Giono (dans sa deuxième manière) est quelque peu expérimental. Et celui-ci en est une preuve indiscutable.
Commenter  J’apprécie          134



Ont apprécié cette critique (12)voir plus




{* *}