Il manquait cependant une chose essentielle. L'inspecteur espéra que l'assassin ne l'avait pas emportée en prenant la fuite, car il savait que les chances d'identifier ce dernier dépendaient de la découverte immédiate de cette chose.
Il s'accroupit.
Sous le fauteuil en cuir, il se retrouva nez à nez avec une danseuse hawaiienne tenant un ukulélé, qui lui souriait à l'intérieur d'une boule de verre.
Une boule tachée de sang.
On accédait au commissariat de Pizzofalcone par la cour d'un ancien immeuble. Sa façade décrépite et replâtrée par endroits produisit sur Lojacono une impression de décadence et d'incurie, d'ailleurs fréquente dans les quartiers les plus anciens de la ville.
Après avoir adressé un signe de tête au chauffeur, qui repartit sur les chapeaux de roues et alluma la sirène, l'inspecteur gravit une volée de marches conduisant à un petit hall d’entrée éclairé au néon, même à midi, car la lumière du jour n'y pénétrait jamais.
Derrière le comptoir, un agent avachi sur un fauteuil pivotant était plongé dans la lecture d'un journal sportif. Un arôme de café émanait d'un distributeur devant lequel deux policiers discutaient et s'esclaffaient. L'homme ne leva même pas les yeux. Lojacono s'approcha en silence et attendit, le regard rivé sur lui.
L'agent finit par remarquer sa présence.
- Oui ?
- Je suis l'inspecteur Lojacono. Je crois que le commissaire m'attend.
l'homme ne lâcha pas son journal, pas plus qu'il ne modifia sa position.
- Premier étage, pièce du fond.
Lojacono ne broncha pas.
- Debout, murmura-t-il.
- Quoi ?
- Lève-toi connard. Donne-moi ton nom, ton prénom, ton grade. Et dare-dare, sinon je saute par-dessus le comptoir et tu vas le sentir passer.
L'inspecteur n'avait pas changé de ton ni d'expression, mis ce fut comme s'il avait hurlé. Les deux policiers échangèrent un regard et sortirent de la pièce sans dire un mot.
L'agent se leva avec difficulté et dévoila sa veste béant sur son abdomen proéminent et sa ceinture ouverte. Son col était déboutonné et sa cravate desserrée. Il se mit au garde-à-vous, le regard perdu dans le vide.
- Agent Giovanni Guida. Commissariat de Pizzofalcone.
Lojacono continuait à le dévisager.
- Ecoute-moi bien, Giovanni Guida du commissariat de Pizzofalcone. Comme c'est toi que les gens voient en premier en entrant ici, ça n'a rien d’étonnant s'ils pensent qu'on est tous répugnants. Et moi, je n'aime pas dégouter les gens.
Lojacono aimait tendrement sa fille. Elle lui manquait à en mourir. A la suite de la procédure dont il avait fait les frais et de son éloignement brutal, sa femme s'était braquée contre lui, non pas tant parce qu'elle le croyait coupable des méfaits dont on l'accusait, qu'à cause des sanctions sociales entraînées par le scandale. Toutes les portes s'étaient en effet fermées devant elle
_____Salut inspecteur ! Munaciello t'attend là-haut.
Le Munaciello. De quel autre surnom aurait-on pu affubler le frère Leonardo Calisi ? Ce franciscain du couvent de Maria Annnunziata, haut comme trois pommes, portait une tunique et des sandales été comme hiver ; il avait les cheveux blancs, les yeux bleus et une expression malicieuse.
Une étrangère, voilà ce que Sonia était devenue pour lui. Il lui semblait incroyable d'avoir partagé avec elle tant d'années, tant de projets concernant un avenir qui ne devait jamais voir le jour. Une étrangère.
La pluie se transforma soudain en grêle. De grosses billes de glace rebondirent sur le pare-brise. p. 289
Madame collectionnait ces horribles boules de verre remplies d'une fausse neige qui tombait sur les paysages quand on les secouait. Elle y tenait tellement qu'elle ne laissait même pas Mayya les dépoussiérer : c'était elle qui s'en chargeait , armée de gants en latex.
Lojacono jugea la situation pire que ce qu'il craignait : il ne serait pas facile de hisser le commissariat à un niveau simplement décent.
L'amour est cette force qui vous prend par la main et vous conduit jusqu'à la fin de la journée, du mois, de l'année et de la nuit. C'est un rêve, une simple illusion; mais on peut la conserver et la cultiver, cette illusion, et la faire croître jusqu'à l'habite.