Pourtant, vivre n'est pas une injonction à se taire et obéir. Vivre, c'est vivre. C'est aimer qui on veut. Aller où on veut. Prier qui on veut, et changer de dieu si on en a envie. Ne pas être obligé de faire, de ne pas faire, de se taire ou de tout avouer.
Jeanne fut conduite au couvent des sœurs cinglées tandis que l’on menait Pierre place de Grève. C’est ici que l’on sut ce qu’il adviendrait de leurs vies et de leurs sentiments : défaits l’un de l’autre, Jeanne muselée à vie derrière des murs dont on ne donne jamais les clés et Pierre offert à la mort et pendouillé en public. - Mais c’est sans compter sur la force de vie des deux héros !
J'ai grandi dans une île, en slip comme Tarzan, mais mon héros, c'est Mowgli, définitivement. Je nage comme un poisson et j'ai une mémoire comme celle des moineaux. A huit ans, je lisais Rudyard Kipling perché dans les arbres, je fumais des lianes comme les hommes, je construisais des cabanes qui faisaient peur aux loups. Aujourd'hui, je continue à courir pieds nus dans les cailloux et à grimper dans les cimes pour rien, juste pour le plaisir de regarder loin. Entre les deux, j'ai vécu dans les villes, j'ai fait le tour des boulevards périphériques en moto, j'ai attendu l'heure de la sortie, j'ai traîné dans des aéroports en écrivant des livres de voyage, j'ai réparé des maisons, déchargé des camions,
bricolé des moteurs, mis des fleurs dans des vases.
Il m'a fallu capturer des vipères à la main et les brandir dans la lumière, nager dans l'eau glacée des rivières, apprendre à aimer la vitesse, la musique et les chiens abandonnés couverts de pluie.
On m'a dit de faire dans la vie ce que je savais faire de mieux, je m'y emploie chaque jour : je raconte des histoires qui servent à fabriquer des livres et à rafraîchir la température du monde. Je tue le temps mais jamais les insectes, ni les taupes, ni les plantes. A-t-on besoin d'en savoir plus ?
Jeux de contrastes, courbes, contre-courbes, ombres, lumières, mises en scènes extraordinaires, bien qu’il ne soit pas (loin s’en faut) au service de l’église catholique, L’histoire de cette Jeanne que nous offre H Giraud est un roman baroque où se nouent et se dénouent la passion et le drame. Les personnages y sont, certes, un peu caricaturaux, mais si le trait forcé et cinématographique surfe avec l’esprit de la BD, c’est sans doute parce que comme le signifiait Abel Gance : « la vision de la chose n’est pas de l’art et seul le mensonge est à la base de la vérité ». Hervé Giraud s’amuse à fouetter cette dernière comme on cravache un cheval. Son discours et son écriture esthétique portent un regard moderne sur un récit sans doute historique mais dont l’encrage et le thème sont toujours actuels. Sa quête de l’émancipation, de l’amour et de la liberté est bien rafraichissante. Une lecture d’été qui décoiffe et fait grand bien.
La liberté est un leurre. La morale qu'on impose aux hommes en leur infligeant la culpabilité du péché ne les rend pas meilleurs. La crainte de l'Enfer ou de la loi ne sert qu'à les domestiquer et les mettre au service d'autres hommes.
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