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Critique de JustAWord


C'est la peur, l'anxiété, la tension.
La palpitation du coeur, les regards posés sur lui, les silences, les murmures, les non-dits.
Pour Livio, jeune garçon de 17 ans, c'est le jour du courage, celui de l'exposé.
Est-il trop timide pour s'exprimer devant ses camarades et sa prof d'histoire ? Est-il nerveux à l'idée de ne pas être assez bon pour retracer l'histoire de Magnus Hirschfeld, médecin juif allemand, premier sexologue de l'histoire et fondateur d'un Institut de sexologie dans l'Allemagne de l'Entre-deux-guerres, juste avant la montée du nazisme ?
Est-il là pour l'histoire avec un grand H ou son histoire à lui, Livio, jeune homme à la dérive, caché aux yeux des autres, aux yeux de ses parents, aux yeux même de sa « petite amie » Camille ?
En moins de 160 pages, Brigitte Giraud (Une année étrangère, Avoir un corps…) tire le portrait d'un monde de l'avant et de l'après, le nôtre et celui qui l'a précédé, comme un écho, une danse folle qui ne s'est jamais calmée.
Jour de courage, c'est l'exposé d'un gamin qui n'en peut plus de se taire, qui veut être ce qu'il a toujours été et faire un coming-out comme une leçon d'histoire, comme une leçon d'humanité, d'existence.

Une histoire ordinaire
Livio prend donc l'estrade devant sa prof, Mme Martel, qui s'attend surtout à un énième exposé de la barbarie nazi, du premier autodafé allemand et à une indignation confortable, inscrite dans la routine du programme.
Mais Livio n'est pas là pour ça, Livio est là pour établir un parallèle, entre lui et ce personnage allemand qu'il a découvert et qui l'a tant aidé, ce Magnus Hirschfeld tellement en avance sur son temps que le temps l'a rattrapé et a fini par l'exiler, le profaner, le museler.
Livio est homosexuel.
Mais ça, il n'y a que lui qui le sait. Personne d'autre n'en a la moindre idée… et de toute façon, qui veut le savoir ? Pas Camille, sa petite amie désignée qui veut l'aimer, qui a besoin de l'aimer mais qui refuse de voir qu'il ne l'aime pas comme elle. Pas ses parents, ses parents qui ne comprennent pas, ses parents italiens qui n'aiment déjà pas parler de leur propre passé, du Duce et de ces temps fascistes où une famille peut ne pas être « un seul bloc ».
Pas le monde extérieur où Livio voit, entend des choses qui le terrifient, des Tchéchènes que l'on incite à tuer leurs enfants gays, des Manif pour tous qui se battent contre ceux qui s'aiment.
Et puis, bien sûr, il y a l'ordinaire, le terrible ordinaire que pointent Livio et Brigitte Giraud. Ces réunions de familles où l'on mime des expressions et où « pédé comme un phoque (ou est-ce un foc ?) » devient une humiliation dans l'humour comme on brûle des livres sans comprendre que l'on brûle des hommes déjà.
Jour de courage, c'est l'expression d'une nature qu'on dit aujourd'hui permise mais qui se retrouve, encore et encore, sous les jugements et le silence.
C'est le constat que l'histoire tourne en boucle, déraille, que le sexe dérange, toujours.

L'importance du discours
Pourtant, durant cet exposé, Livio fait preuve de plus de courage que l'ensemble de ses camarades réunis, plus de courage que sa prof qui reste bien gentiment dans les cases de ce qui est permis ou non.
C'est une épreuve physique, comme une réponse à Goebbels sur son estrade lorsqu'il brûlait des livres. Sauf que Livio, lui, essaye de construire non de détruire. Il rencontre alors l'incompréhension, la moquerie, l'insulte…et pire le silence. La majorité silencieuse.
Jour de courage montre l'importance des mots, du discours, la puissance du parler. Cet exposé, c'est une façon de montrer l'importance de l'Histoire et de ce que l'on peut en tirer, des ravages de l'oubli, des victimes d'un Holocauste que l'on aurait mis de côté, les handicapés et les pédés, ces gonzesses, ces pédales, que l'on dénigre encore au détour d'un match de foot avec son père pour faire comme tout le monde, pour paraître normal, intégré.
Ici, le didactisme du récit correspond à celui d'un exposé, d'un travail scolaire, mais qui s'égare, qui fait des écarts, qui rappelle ce dont il est communément admis de parler dans notre société et ce qui embarrasse plus, ce qu'on préfère passer sous silence. Dans ces 160 pages, Brigitte Giraud dissèque les émotions d'un jeune homme qui s'effeuille devant son monde à lui, sa classe toute entière, qui dit tout, se met à nu, mais pas n'importe comment, par la connaissance, par le savoir.
L'arrivée pourtant n'est pas celle qu'il espérait. Elle n'est ni la libération ni la consécration d'une vie passée à se planquer. Tout lui revient en pleine face, la haine et l'intolérance se découvrent à leur tour et, comme son héros historique, Livio disparaît, lassé des autres ou simplement lucide.
Peut-être est-il trop tard de toute façon, peut-être a-t-il toujours été trop tard ?

Ce Jour de courage virevolte à travers les flammes de l'Histoire, à travers le drame de l'intolérance et de la haine de l'autre, de l'oubli et de la bêtise érigée en valeur de rassemblement. Portrait d'un monde qui brûle et d'un adolescent incandescent qui brille avant de se volatiliser, le récit-exposé de Brigitte Giraud ressemble à un tour de force, un rappel du mal qui nous ronge en silence.
Lien : https://justaword.fr/jour-de..
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