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Critique de isanne


Fin 1939, Début de l'année 1940, dans les Ardennes, à la frontière belge.

Une maison forte, un point de résistance en prévision d'une invasion allemande supposée, une construction renforcée posée là comme une dissuasion bien fragile...
Un lieutenant et ses quelques hommes dans un quotidien d'attente qu'ils peuplent d'habitudes et d'obligations… Des hommes qui apprennent la patience, qui vivent dans l'inaction, avec la conscience de l'incohérence de leur situation, se mêlant tout doucement à la vie humaine et civile des alentours, se créant une autre existence en marge de leur précédente vie, pour habiter cette attente, toujours.

La forêt qui entoure la maison fortifiée est une présence : cette "armée d'arbres" qui entoure les hommes, qui les englobe, qui les étouffe presque, parfois. Ces layons qui pourraient les emmener loin, mais qui sont comme des yeux aveugles de n'avoir été explorés, des chemins comme des échappatoires au coeur desquels il sera bientôt trop tard de se faufiler.
La forêt et ses saisons, qui sont finalement ses humeurs, ses émotions ou peut-être celles des hommes là cantonnés. La forêt qui, sans qu'ils la comprennent, leur parle, leur prédit ce qui va advenir, la forêt qui les met en garde contre cette routine qu'ils acceptent et construisent. Les bois qui leur ressembleraient presque, qui s'agitent, deviennent immobiles sous le gel, se dissimulant dans les brumes givrantes, la forêt comme un fantassin dans l'attente...

Qu'importe la teneur du récit, c'est l'écriture qui emporte ici. Ces mots qui tourbillonnent comme les feuilles à l'automne, avant de se poser dans l'esprit et d'y exalter les perceptions. Cette étendue gris-verte, ces feuilles qui bruissent, ce sol gelé qui craque sous les pas, ce vent glacial qui bouscule, ce brouillard qui enlace.
Le fauteuil, dans lequel le lecteur s'enfonce, s'oublie, la lumière qui éclaire la lecture s'estompe et le voilà cheminant dans une muraille végétale et brillante, aux prémices de l'aube ou dans les premiers halos du crépuscule. Il est entré dans les pages du livre, plus rien n'existe que le vent qui agite la ramure ou les yeux qui se lèvent vers la canopée…Les cliquetis des armes dans la marche et les pas qui s'approchent sont encore lointains, les chenilles des blindés n'ont pas encore laissé d'empreintes dans ces sols plein de vie qui s'assoupissent pour cette saison de dormance, ils sont juste les échos et murmures perçus d'un conflit qui va aller crescendo. Sont siennes les pensées du lieutenant, ses émotions, ses perceptions, d'une façon si vive.
Et ces hommes demeurés là ne parviennent pas à entrevoir dans les gestes l'avenir révélé, comme si ces terres boisées, secrètes, dans lesquelles ils s'immergent plus qu'ils n'y déambulent, ne leur racontaient déjà la bataille soudaine, inattendue dans sa forme, et meurtrière qui va s'y dérouler.
Tout est aboli de la réalité, le lecteur vit l'attente, vit cette atmosphère du conflit et le récit l'a envoûté…

Et puis, il y a Mona, "cet elfe ou cette fée de la forêt", apparue comme l'éclaircie au milieu de l'orage. Mona qui par son innocence et sa simplicité rive le lieutenant aux paysages et les lui donne en appartenance. Mona ou le soleil qui éclabousse les paysages et le quotidien, qui tel le pinceau du peintre colore la monotonie de l'attente…. Mona ou la permission d'un regard autre posé sur les paysages boisés et leurs secrets à peine dévoilés. Mona, l'oiseau qui ne fait pourtant que frôler et traverser la vie du lieutenant. Et c'est cette appartenance nouvelle, consentie, qui habite soudain celui-ci, le liant à ces bois, à cette terre, l'enjoignant à y demeurer...



Un récit tout en perceptions, un récit qui prend vie dans le coeur du lecteur. Rares sont les livres qui engloutissent autant celui qui les tient, rares sont les écrits qui pénètrent si profondément les recoins de l'esprit qu'ils effacent la réalité pour ne laisser ici que l'atmosphère de l'attente, sans que l'on ne sache réellement ce que l'on attend ou que l'on espère un instant que la maison forte deviendra cette "île" qui éloignerait vers un imaginaire rêvé, loin de la guerre et de ses combats.
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