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sur 477 notes
Fin 1939, Début de l'année 1940, dans les Ardennes, à la frontière belge.

Une maison forte, un point de résistance en prévision d'une invasion allemande supposée, une construction renforcée posée là comme une dissuasion bien fragile...
Un lieutenant et ses quelques hommes dans un quotidien d'attente qu'ils peuplent d'habitudes et d'obligations… Des hommes qui apprennent la patience, qui vivent dans l'inaction, avec la conscience de l'incohérence de leur situation, se mêlant tout doucement à la vie humaine et civile des alentours, se créant une autre existence en marge de leur précédente vie, pour habiter cette attente, toujours.

La forêt qui entoure la maison fortifiée est une présence : cette "armée d'arbres" qui entoure les hommes, qui les englobe, qui les étouffe presque, parfois. Ces layons qui pourraient les emmener loin, mais qui sont comme des yeux aveugles de n'avoir été explorés, des chemins comme des échappatoires au coeur desquels il sera bientôt trop tard de se faufiler.
La forêt et ses saisons, qui sont finalement ses humeurs, ses émotions ou peut-être celles des hommes là cantonnés. La forêt qui, sans qu'ils la comprennent, leur parle, leur prédit ce qui va advenir, la forêt qui les met en garde contre cette routine qu'ils acceptent et construisent. Les bois qui leur ressembleraient presque, qui s'agitent, deviennent immobiles sous le gel, se dissimulant dans les brumes givrantes, la forêt comme un fantassin dans l'attente...

Qu'importe la teneur du récit, c'est l'écriture qui emporte ici. Ces mots qui tourbillonnent comme les feuilles à l'automne, avant de se poser dans l'esprit et d'y exalter les perceptions. Cette étendue gris-verte, ces feuilles qui bruissent, ce sol gelé qui craque sous les pas, ce vent glacial qui bouscule, ce brouillard qui enlace.
Le fauteuil, dans lequel le lecteur s'enfonce, s'oublie, la lumière qui éclaire la lecture s'estompe et le voilà cheminant dans une muraille végétale et brillante, aux prémices de l'aube ou dans les premiers halos du crépuscule. Il est entré dans les pages du livre, plus rien n'existe que le vent qui agite la ramure ou les yeux qui se lèvent vers la canopée…Les cliquetis des armes dans la marche et les pas qui s'approchent sont encore lointains, les chenilles des blindés n'ont pas encore laissé d'empreintes dans ces sols plein de vie qui s'assoupissent pour cette saison de dormance, ils sont juste les échos et murmures perçus d'un conflit qui va aller crescendo. Sont siennes les pensées du lieutenant, ses émotions, ses perceptions, d'une façon si vive.
Et ces hommes demeurés là ne parviennent pas à entrevoir dans les gestes l'avenir révélé, comme si ces terres boisées, secrètes, dans lesquelles ils s'immergent plus qu'ils n'y déambulent, ne leur racontaient déjà la bataille soudaine, inattendue dans sa forme, et meurtrière qui va s'y dérouler.
Tout est aboli de la réalité, le lecteur vit l'attente, vit cette atmosphère du conflit et le récit l'a envoûté…

Et puis, il y a Mona, "cet elfe ou cette fée de la forêt", apparue comme l'éclaircie au milieu de l'orage. Mona qui par son innocence et sa simplicité rive le lieutenant aux paysages et les lui donne en appartenance. Mona ou le soleil qui éclabousse les paysages et le quotidien, qui tel le pinceau du peintre colore la monotonie de l'attente…. Mona ou la permission d'un regard autre posé sur les paysages boisés et leurs secrets à peine dévoilés. Mona, l'oiseau qui ne fait pourtant que frôler et traverser la vie du lieutenant. Et c'est cette appartenance nouvelle, consentie, qui habite soudain celui-ci, le liant à ces bois, à cette terre, l'enjoignant à y demeurer...



Un récit tout en perceptions, un récit qui prend vie dans le coeur du lecteur. Rares sont les livres qui engloutissent autant celui qui les tient, rares sont les écrits qui pénètrent si profondément les recoins de l'esprit qu'ils effacent la réalité pour ne laisser ici que l'atmosphère de l'attente, sans que l'on ne sache réellement ce que l'on attend ou que l'on espère un instant que la maison forte deviendra cette "île" qui éloignerait vers un imaginaire rêvé, loin de la guerre et de ses combats.
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La lecture d'«Un balcon en forêt » permet de s'imprégner de cette étrange ambiance qui prévalait pendant « La drôle de Guerre » dans laquelle évolue les troupes françaises de septembre 39 à mai 40 . Julien Gracq a puisé dans ses souvenirs et son expérience. On peut y déceler déjà l'annonce d'une défaite « avant même le premier coup de canon, la rouille, les ronces de la guerre » … « Une foutue armée (…) qui m'a tout l'air de vouloir faire avant peu une armée foutue » .
Automne 1939 - L'aspirant Grange qui fait l'objet d'une surveillance par la sécurité militaire (Gracq l'était aussi de par son adhésion à la CGT et son engagement auprès du parti communiste , il fut également affecté en Flandre ) présente au colonel son ordre de mission . Il est cantonné à la maison forte des Hautes Alizes , près du bourg de Moriarmé (il faut y voir Morialmé, entre Sambre et Meuse, en Belgique).Cette maison forte, en surplomb ( d'où le titre ) où il prend ses quartiers, n'est pas une maison d'arrêt militaire comme il l'a craint quelques instants, c'est un blockhaus, construit au coeur de la forêt « pour interdire aux blindés l'accès des pénétrant descendant de l'Ardenne belge vers la ligne de la Meuse ». (Pour un lieutenant de passage c'est même un "piège à cons") . Un souterrain a été creusé permettant d'évacuer, en cas de siège le fortin et de se réfugier dans les bois. Il partage les lieux avec Hervouët, Gourcuff, Olivon.
Dans cette guerre qui « brasille » chacun vaque librement à ses occupations : coupe de bois et braconnage dans la forêt giboyeuse, pour les soldats, Grange, lui le futur officier , s'adonne à de longues errances bucoliques nocturnes. le temps suspend son cours, devient une parenthèse heureuse mais cotonneuse, des « journées blanches ».
C'est dans ce contexte que Grange va rencontrer une très jeune femme Mona (Nora Mitrani ? la future compagne de Gracq ) à la fois petite- fille, femme-fleur , fée mutine qui réside au village. Ils deviennent amants. Mais ce calme pernicieux, cette attente interminable va prendre fin quand les Allemands lancent leur offensive dans les Ardennes, le village est évacué et Mona s'éloigne.
Lors de l'attaque Grange est blessé. L'intensité dramatique s'accentue, devient pathétique quand il décide d'aller se coucher sur le lit de Mona, le tragique s'invite. Quelle sera la destinée de Grange : Mourir de sa blessure (septicémie,) se faire tuer par l'ennemi (Les Allemands « liquidaient » les soldats isolés,) être fait prisonnier, s'échapper et survivre ?
Au-delà de cette histoire étrange c'est le style de Gracq qu'il faut découvrir, ses descriptions poétiques. Nos sens sont sollicités par cette lecture.
- La vue surtout : les couleurs sont très présentes, couleurs basiques qui reviennent souvent le gris, le rouge… des couleurs composées : blanc de sucre argenté, le bleu récurrent (peut-être par réminiscence à la « ligne bleue des Vosges ») qui se nuance en cru, cendré, de guerre, froid, violent…
- L'ouie : « le bruit très calme de l'eau », « le cri des chevêches » « le silence des bois sans oiseaux « « le foisonnement grave, « la nuit sonore »...
- L'odorat : « l'odeur obsédante des pommes sûres », « le fumet de la sauvagine »…
On peut lire un livre, ce livre précisément, pour ce qu'il détient encore de part inconnue à découvrir (première publication 1958), pour aller à la rencontre d'un auteur jamais lu, Louis Poirier , alias Julien Gracq, découvrir dans le récit les éléments biographiques qu'il recèle , pour cheminer dans l'Histoire (curieuse, j'ai cherché, par exemple, à savoir qui était le traître de Stuttgart (1), pour s'amuser à identifier les lieux, découvrir leur toponymie, pour faire une étude stylistique, lexicologique, morphosyntaxique… (cette oeuvre fut inscrite, en 2008, au concours de l'agrégation de Lettres), pour trouver trace d'autres écrivains( 2 ) … C'est tout ce que j'ai fait, avec un dilettantisme amusé et appliqué ! Mais je sais que je reprendrai la lecture, fragment après fragment pour y travailler sur l'un ou l'autre de ces sujets avec plus de sérieux, mais toujours avec plaisir et sans contrainte !
(1) « (…) ils écoutaient à la radio le traître de Stuttgart, qui avait parlé une fois de leur régiment. » Paul Ferdonnet, journaliste d'extrême droite, agent de propagande du III è Reich, à l'issue de la guerre il fut arrêté, jugé et condamné à mort.
(2)
Gaston Bachelard – (L'eau et les rêves) « C'était les eaux printanières, toutes pleines de terre et de feuilles ».
Albert Camus – (La Peste) « C'était une ville qui couvait la peste ».(L’Etranger) « Le monde lui paraissait soudain inexprimablement étranger, indifférent, séparé de lui par des lieues. »
Charles Perrault – (Le Petit Chaperon Rouge, La belle au Bois Dormant) « Cette maisonnette de Mère Grand » « au fond du capuchon, comme au fond d'une crèche , on voyait une paille douce de cheveux blonds »… « C'était étrange, improbable, un peu magique : une allée du château de la Belle au Bois Dormant)
Edgard A.Poe – (Le Domaine d'Arnheim et non D Arnhem comme cela est écrit page 10) « C'est un train pour le Domaine dArnhem pensa l'aspirant, grand lecteur d'Edgar Poe »…
Arthur Rimbaud – (Le dormeur du Val, le bateau ivre ) « Comme un dormer sur l'herbe dans son somme »… « Il y avait un charme trouble, puissant, à se vautrer dans ce bateau ivre… »
George Sand (La Petite Fadette) « C'est une fille de pluie(…) une fadette… »

Jacques de Voragine – (La légende dorée) « le soir elle faisait ses prières comme une couventine sage, et lisait avec Julia des passages de la Légende dorée »…
Jules Verne – ( le pays des Fourrures) « Cette île flottante que le dégel un jour après l'autre rapetissait ».

H.G. Wells – (La Guerre des Mondes) « Un souvenir remontait alors à lui du fond de ses lectures d'enfance : celui des géants martiens malades de Wells… »
Par ailleurs, Grange lit du Shakespeare, du Gide (Le Journal) du Swedenborg (Mémorables) en anglais !

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Après le superbe "Rivage des Syrtes", c'est ici un autre roman d'attente dans un contexte de guerre, où Gracq renouvelle sa prose poétique avec les aventures d'un soldat sur la frontière franco-belge en 1939.

En attendant une hypothétique invasion allemande par les Ardennes, la France y prépare une défense minimale puisque, normalement, les Allemands ne devraient pas à nouveau envahir la Belgique et traverser un terrain si difficile pour arriver en territoire français.

C'est dans ces conditions que l'aspirant Grange prend ses fonctions dans une petite maison forte mal conçue, on dirait aujourd'hui un blockhaus délabré, qui abrite, tout de même, un canon antichar au coeur de la forêt.
Avec trois autres soldats sous ses ordres ,il glisse progressivement vers des activités qui sortent du cadre de la préparation de cette guerre dont la menace, il est vrai, plusieurs mois après la déclaration de guerre, semble s'éloigner de l'endroit où ils sont.

Alors Grange se régénère dans cette forêt à perte de vue, qui devient une seconde maison et qu'il appelle le Toit, où serpente la Meuse.

Le style de Gracq fait encore des merveilles. Un style poétique qui transmet si bien les émotions du héros dans un environnement naturel qui l'inspire. Mais une fois installé ce cadre, le savoir faire de Gracq est d'insuffler imperceptiblement la menace avec les changements qui s'opèrent dans cette nature jusque-là sereine. En commençant avec des sons qui modifient cet équilibre: un bruit de moteur d'un avion de reconnaissance jusqu'au martellement des bombes qui déchirent le silence au loin et dont l'onde se propage jusqu'aux pieds.

L'Histoire montrera que cette liberté a un prix.
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Que vient faire ‘Un balcon en forêt' dans l'oeuvre de Gracq ? Loin des endroits fantastiques, voir fantasmagoriques, qu'il affectionne, nous voici plongé dans la plus prosaïque des réalités : la drôle de guerre pour cadre ; au lieu d'une ville millénaire à l'architecture illustre, un village français comme il y en a des milliers ; pour château, un bunker mal conçu ; pour amante, une jeune paysanne en vélo, bien loin des comtesses alanguies dans des tissus d'orient ! Nous voici dans un texte autobiographique, dans la réalité la plus crue et la plus banale.

Et pourtant, la chose la plus importante dans les textes de Gracq est toujours là, inchangée, identique à ce qu'elle est dans ‘Le rivage des Syrtes' et les autres : l'attente. On ne sait exactement ce que l'on attend. Tout ce que l'on sait, c'est que ce sera rapide, brutale, et qu'après plus rien ne sera comme avant. Et la douceur de la vie quotidienne, puisqu'il faut bien vivre, installée, construite, autours de cette menace qui plane, mais à laquelle pour le moment on tourne le dos. Puisqu'il faut bien vivre…

Drôle d'époque que la drôle de guerre. Drôle d'écrivain que Gracq, en attente d'il ne sait quoi lui-même. Drôle de livre, qui fait converger imaginaire et réalité !
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La Drôle de guerre du lieutenant Grange et de trois soldats affectés dans un blockhaus de la forêt ardennaise, la maison forte des Hautes Falizes, à l'automne de 1939. L'isolement d'une vie militaire réglée par l'habitude et rythmée de manoeuvres routinières bien rodées donne rapidement l'impression d'un enlisement du temps et d'une succession de saisons identiques. Tout à l'air de se dérouler comme prévu par l'ordre de mission émanant de la hiérarchie. La sérénité apparente, insolite dans le contexte, de cet officier lecteur à ses moments perdus, irait jusqu'à nous contaminer si elle n'était pas contrariée par une inquiétude plus sourde et diffuse. Dans ce climat d'attente et d'incertitude où la solitude de Grange est trompée par l'accomplissement répétitif et quotidien des tâches, sa rencontre fortuite, aussi belle qu'improbable sur une laie forestière, avec une femme donne une autre dimension au récit dont la force mystérieuse est peut-être ailleurs. Est-ce l'omniprésence de la forêt, immense, obscure, dense et secrète, son foisonnement compact et la touffeur de ses sous-bois, son souffle, ses odeurs, ses dépouilles hivernales ou les soubresauts de ses branches qui croulent sous la neige faisant presque tressaillir à la lecture, qui scelle une telle impression ? Par un miracle d'écriture gracquienne on marche dans ses profondeurs, on guette le moindre de ses bruits, on accompagne ses silences on respire un air d'éternité en oubliant la guerre. C'est végétal et métaphysique. Tout finit pourtant dans un fracas terrible, historique. Beau, un peu tragique. On s'en souvient longtemps après avoir refermé ce livre.


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Publié quelques années après le Rivage des Syrtes, Un balcon en forêt en reprend la thématique principale, habillée cette fois de davantage de réalisme historique : il n'est plus question ici d'une principauté imaginaire ni d'une époque incertaine, mais de la frontière entre les Ardennes françaises et belges, entre l'automne 1939 et le printemps 1940. Mis à part ces espaces-temps radicalement différents, le parallèle entre les deux romans de Gracq semble assez évident : au début d'Un balcon en forêt, l'aspirant-lieutenant Grange vient prendre le commandement d'un fortin isolé qui domine la Meuse, fortin dans lequel il va attendre pendant des mois un ennemi qui ne vient pas. le roman s'achève au moment où le désastre survient enfin, et où cette longue parenthèse se referme brutalement. La frontière est au coeur des deux livres, avec toutes les interrogations sur ce qu'il y a au-delà, et sur ce qui pourrait en venir.
Le réalisme apparent du récit dans Un balcon en forêt ne doit pas faire trop illusion. Gracq ne livre pas ici ses souvenirs personnels de la Drôle de guerre, bien qu'il l'ait lui-même vécue, et avec le même grade de lieutenant que son personnage. Cette guerre qui se fait attendre permet surtout à l'auteur d'isoler son personnage, à la fois sur cette ancienne marche frontalière que représente la forêt, et sur la marge d'un événement historique insaisissable. Cette retraite est le vrai sujet du livre : le monde n'est plus qu'une rumeur dont parviennent quelques échos lointains. Quelque chose qu'on regarde de haut, sans y participer directement (d'où le balcon). Il n'y a plus que Grange, ses hommes, et la forêt protectrice tout autour. le foisonnement du style fait écho à celui de la nature environnante. C'est un foisonnement auquel s'abandonne le personnage et dans lequel il se redécouvre. Aux frontières de la forêt et du fantastique, l'improbable maison de Mona ajoute au récit la puissance d'un érotisme situé hors des conventions sociales.
Voilà une lecture qui m'a transporté. La magie de la littérature m'a permis d'y retrouver ce que je pouvais ressentir confusément, et avec mes pauvres mots, lorsque j'avais l'habitude de séjourner l'été dans ce chalet d'alpage isolé, à deux pas de celui où Albert Cohen écrivit autrefois Belle du Seigneur (« à deux pas » est ici une expression toute faite : il y avait cinq heures de marche et un joli dénivelé avant d'arriver aux chalets de Graydon...).
La même béatitude à se retrouver seul dans la nature. Regarder le soleil tomber derrière la forêt, écouter les cris des bêtes dans la nuit naissante, rentrer faire du feu, lire à la lueur des bougies. Se promener à l'aube parmi les arbres trempés de brouillard. Et puis ce curieux désir qui se renforce jour après jour : ne plus avoir à redescendre vers la vallée et l'agitation du monde.
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Un continuel novice ne peut pas le nier : avant même d'ouvrir un de ses livres, Gracq décourage. Au mieux, il intimide. Pour me permettre d'entrer dans cette oeuvre exigeante et ardue, on m'a dirigé vers Un balcon en forêt, bizutage gracquien a priori moins douloureux grâce à l'arrière-plan historique. La littérature ne s'est pas beaucoup penchée sur la guerre de 1939-40 : c'est un attrait non négligeable, surtout si l'on aime l'histoire - la grande.
Drôle de guerre en effet, étrange prose poétique qui fait oublier qu'on lit un roman. Je me suis ennuyé à sa lecture, mais me suis curieusement senti impatient de retrouver chaque jour cet ennui. J'ai parcouru pas mal de pages très distraitement, songeant à Zangra (avec la voix de Brel dans la tête) ou au Désert des Tartares ; le récit m'a peu importé, même lorsque les Allemands ont attaqué. Non, plutôt un rythme de phrase, en phase avec la torpeur de ces soldats, presque un ahurissement. Parfois, je l'avoue, la beauté m'a échappé, la rêverie aussi, et la lecture est devenue âpre ; une forêt de mots, dense, inextricable, et on se met à lire à coups de machette, poussée par la vigilance.
D'ailleurs, "on eût dit que" même Gracq a ses tics de langage. Rassurant, tout compte fait, et la rêverie peut revenir.
J'ai enchaîné avec le Rivage des Syrtes qui m'a confirmé que l'oeuvre de Gracq serait de celles que je respecterais infiniment sans jamais vraiment parvenir à les aimer.






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Il y a bien longtemps, j'avais lu une citation de Julien Gracq sur une affiche pour une exposition d'art " tant de mains pour transformer le monde et si peu de regard pour le contempler ". Cette phrase m'avait touchée et donner envie de lire cet auteur,et puis le temps a passé et le hasard des rencontres m'a mis ce roman entre les mains.
Il est certain que J.G. sait contempler le monde tant extérieur qu'interieur ! Qu'il le décrit par une prose d'une rare poésie et qu'il sait voir au delà des apparences. le balcon en forêt est en réalité une " maison forte" dans laquelle se rend le lieutenant Grangé en bordure de la Meuse, pendant " la fausse guerre". Trois autres soldats vont y vivre avec lui dans l'attente d'ordres...
Ce lieu semble hors du temps etGrangé donne le sentiment d'errer entre rêve et réalité. Il se fond dans le décors, comme étranger au monde qui l'entoure et même peut-être de plus en plus étranger à ce qu'il était.
Les descriptions envoûtantes de la forêt créent une ambiance plus proche du conte que d'un roman sur la guerre,avec toute la symbolique de l'inconscient et des profondeurs de l'âme.
Quand Grangé rencontré Mona sur un chemin rendu mystérieux par la pluie et la brume,tous les repères sont mis à mal. Est ce une fillette? Une femme? Est-elle là par hasard? le provoque t'elle? Son allure m'a immédiatement fait penser au petit chaperon rouge, même si ici,le loup se laisse dévorer avec délectation! En s'enfoncant dans les bois ,Grangé s'éloigne de plus en plus de la réalité et sa mission devient de plus en plus floue. Les objectifs militaires s'effacent au profit d'une quête initiatique. Et pourtant la drôle de guerre envoie des signaux de son existence comme des rappels à la réalité. Grangé finit par se rapprocher de ce pour quoi il a été désigné et commence alors une période d'attente mêlée de confusion,de peur et de tentative d'échapper là encore au réel. On sait qu'il va se passer d'un moment à l'autre un acte violent qui va fracturer cet univers onirique, et ce moment arrive. Pourtant,Grangé se laisse à nouveau glisser dans un monde intérieur. Il n'a été que le spectateur du théâtre ridicule de la guerre,il n'y a jamais mis de sens. " la guerre continuait à se cacher derrière ses fantasmes, le monde autour de lui à s'evacuer silencieusement ".
J'ai découvert une plume magnifique et un style hors du commun. Je suis cependant convaincue que beaucoup de choses m'ont échappé et que je n'ai pas eu accès à toutes les subtilités de ce texte. Bien que je n'en ai pas du tout l'habitude je suis tentée de trouver une analyse didactique de cette oeuvre pour ne rien perdre de sa substantifique moelle !
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Octobre 1939 : le lieutenant Grange est assigné, avec trois soldats (Olivon, Hervouët et Gourcuff) dans un blockhaus en plein coeur de la forêt des Ardennes, qu'il a surnommé le Toit. « On se sentait dans ce désert d'arbres haut juché au-dessus de la Meuse comme sur un toit dont on eût retiré l'échelle ». La « drôle de guerre » vient de commencer. Enfermé dans cette maison forte, cette espèce de « dé de béton » armé pour résister à toute invasion, Grange imagine que la guerre pourrait bien n' être finalement qu'une « continuation indéfinie du camping en forêt », une sorte de « compagnonnage de coureurs des bois ».
Ce roman à la prose sublime qui parle de la guerre sur un ton poétique aux accents de dure vérité, m'a complètement chavirée. Je ne connaissais pas Julien Gracq; ce livre m'avait été offert par une collègue de travail il y a quelques années et j'ai beaucoup trop attendu pour le lire. Réparation est faite et c'est véritablement une grande découverte pour moi.
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La représentation poétique de la nature, si prégnante dans ce roman a déjà été très bien dite ici. Je voudrais simplement ajouter deux choses :
- d'une part, l'écriture de Gracq est ici beaucoup plus simple que dans le Château d'Argol (bien sûr) mais même que dans le Rivage des Syrtes. Même si on reconnaît cette langue, elle est moins foisonnante, moins décorée, plus sobre, comme dans les nouvelles de la Presqu'île. Ce sont des fictions plus proches du réel, avec le langage adéquat ;
- d'autre part, je ne dirais pas que c'est un roman de l'attente. le monde sérieux de Moriarmé attend et redoute la guerre, oui. Mais Grange refuse les mots du capitaine, du lieutenant, des soldats qui passent à la fin. Il veut indéfiniment retarder l'événement et c'est ce qu'il fait à la fin, en restant là alors qu'il devrait se replier très vite. le fait qu'un événement puisse arriver est très important puisqu'il crée un espace-temps propice à l'événement aventureux, comme le fait aussi la proximité de la frontière. Mais Grange n'attend pas : il arrête le temps, répète à l'envie les mêmes habitudes et devient un réceptacle de sensations. Et voilà que dans ce temps immobile, la forêt se remplit de légendes, de guerres épiques anciennes et de jolies fées. Imaginer, raconter, écrire, c'est vivre dans l'écoulement réel du temps mais se révolter contre lui et parvenir à le repousser, jusqu'à l'épuisement.
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