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Critique de Malaura


C'est d'abord par son portrait de femme fragile, beauté gracile et éplorée, yeux agrandis de détresse, que l'on entre dans la vie de Lisandra et dans celle de Vittorio Puig, le psychanalyste chez qui elle s'est réfugiée pour fuir les démons intérieurs qui la pourchassent. Après cette unique séance, « le moment le plus foudroyant de sa vie », Vittorio sait qu'il ne pourra plus vivre sans elle.
Lisandra, qui t'a assassinée ?...

C'est par ce nom qu'elle porte, « Lisandra », envoûtant, mystérieux, que déjà elle nous happe dans le dédale de son existence, avec la curiosité grandissante de la découvrir et de l'accompagner dans le tragique pas de deux qu'en danseuse de tango virtuose elle va improviser au gré des lignes.
Lisandra, qui t'a défénestrée ?...

Août 1987, le corps de Lisandra est retrouvé gisant sur le trottoir au pied de son immeuble.
Après sept ans d'un mariage qui commençait à battre de l'aile, son mari, Vittorio Puig, est aussitôt suspecté et incarcéré. Bien que clamant son innocence, les policiers ne semblent pas disposés à écouter ce coupable idéal, ni à chercher ailleurs une vérité qui sied à tous.
Qui sied à tous ?... Non, pas à tous. Eva Maria, elle, ne croit pas en la culpabilité de Vittorio.
L'analyste qui la suit depuis plusieurs mois, grâce à qui, pour la première fois depuis cinq ans, elle a pu étancher sa douleur d'avoir perdu sa fille aînée vraisemblablement éliminée par la junte, cet homme-là, n'a pas pu tuer sa femme, elle en est convaincue, et elle est prête à tout pour tenter de le sauver.
Lisandra, qui est ton meurtrier ?...

Alors Eva Maria enquête. Elle écoute les cassettes des séances d'analyse que Vittorio lui a avoué enregistrer à l'insu de ses patients et qu'il lui a demandé de récupérer dans son appartement.
Le meurtrier est peut-être l'une de ces personnes névrosées entendues en consultation ?
Lisandra, qui t'a fait du mal ?...

Un « cabeceo » subtil, un « abrazo » affirmé, c'est sur un air de tango argentin que nous pénétrons dans le roman d'Hélène Grémillon, évoluant comme au sein d'une milonga dans les méandres des intimités de ses personnages. L'intimité sensuelle et énigmatique de Lisandra, celle équivoque de son mari le psychiatre Vittorio Puig, celle intempérante et tourmentée d'Eva Maria, et enfin, en toile de fond, celle sordide de l'Argentine des années 1980, qui porte ancrée dans sa chair les stigmates de la junte militaire, encore trop fraîche dans les esprits pour oblitérer le souvenir des morts, des disparus, des victimes, charriés dans un lit de souffrances dans les eaux troubles du Río de la Plata.
Lisandra, avec qui as-tu dansé ce tango de la mort ?...

Dans ce jeu de piste des existences, tous deviennent potentiellement coupables: la femme qui a peur de vieillir, le musicien victime de la junte, le militaire et ancien bourreau, le professeur de tango, le serveur de bistrot…
A l'instar des corps qui, dans la proximité de la danse, laissent percevoir les pulsations intimes, le mystère des personnalités peu à peu révélées laissent entrevoir des implications nouvelles, des éventualités, une large part de doutes, de soupçons et d'incertitudes qui font de « La garçonnière » un suspense psychologique intense et addictif en même temps qu'un drame intimiste captivant et émouvant.

La construction même du récit, ingénieuse, originale, en multipliant les systèmes de narration comme autant de figures chorégraphiques, alimentent encore davantage ce sentiment d'improvisation où tout semble possible et réversible à chaque page, ouvrant le champ des possibles, des potentialités, des perspectives.
Des séances d'analyse que l'on écoute avec Eva Maria quand le magnétophone se met en marche, aux entretiens au parloir avec Vittorio, des réflexions intimes aux secrets avoués, de renseignements en révélations, les chemins tortueux de la pensée se déroulent, nous faisant parcourir des directions nouvelles et impromptues, et dévoilant les zones d'ombre d'une jeune femme au caractère complexe, au tempérament ambigu.
Lisandra, qui es-tu ?...

Au gré des changements de rythme et sur un tempo martelé comme le claquement d'un escarpin sur le parquet d'une salle de bal, Lisandra nous entraîne dans les errements d'une histoire où la jalousie, couleur dominante d'une habile chorégraphie, s'esquisse dans les tragiques pas de danse des vies brisées.

A l'image du tango argentin, Hélène Grémillon fait de ce passionnant roman « une pensée triste qui se danse ».

A lire avec Gotan Project en musique de fond…
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