Citations sur Un garçon singulier (23)
Dans le lit une forme se devinait, entortillée dans les couvertures. Iannis dormait en position foetale, deux doigts enfoncés dans la bouche et je ne distinguais de lui qu'un profil délicat découpé sur l'oreiller. Une pointe du col de son pyjama masquait sa joue et seul un pli très marqué entre ses sourcils indiquait une tension que le sommeil même ne pouvait apaiser. Je fus saisi par la beauté de ce visage auréolé d'une masse de cheveux blonds, par la longueur de ses cils et la ligne de son nez, quand je m'attendais à un faciès déformé par les troubles psychiques.
Qu’un grain se glisse dans la blessure si mal refermée et tout bascule : amours, rêves, certitudes. Notre chemin se perd sous le sable, pierre sans mémoire qui coule entre nos doigts, chair des destins fragiles, ciment des châteaux éphémères. P 41
L'essentiel n'est pas que je pense à toi - chacun peut bien penser à qui il veut en faisant l'amour - mais que tu le saches... et que je sache que tu le sais !
Nous avons laissé un peu de chair sur la terre de notre enfance, un de nos cheveux entre les pierres d'un chemin, des fragments de notre peau sur l'écorce d'un arbre, un soupçon de larmes ou de sang sur le sol d'un jardin. Des fleurs s'y sont nourries de notre mémoire. En retrouverait-on la trace, preuve de notre passage en ces lieux?
Ce que nous croyons découvrir, nous l'avons toujours su. On n'oublie rien, ni l'éclair de lassitude, ni le mot chuchoté derrière la cloison ou la pâleur entrevue d'une peau. Nous n'avons jamais chassé de notre mémoire ces quelques syllabes, nous avons gardé au plus profond de nous ce geste regretté : c'est de cette part aveugle que nous dépendons, vivante, insistante, c'est elle qui a décidé de notre destinée.
Quand ils ne m'appelaient pas le grand taciturne, mes parents (...) disaient de moi que j'étais un garçon singulier. Ma tendance à la solitude les inquiétait : enfant, je ne me mêlais pas aux jeux des autres et à l'adolescence, je préférais la compagnie de mes auteurs favoris à toute autre. Plus tard, rien n'avait vraiment changé, et je ne me sentais pas en harmonie avec ceux de ma génération. (p. 14)
De nouveau j'ai eu peur et de nouveau j'ai fui, comme à l'époque de la colonie de vacances, comme lorsque j'ai préféré le Professeur et ses disciples à l'exigence de notre amitié. Pour la troisième fois j'ai manqué à notre serment, mais cette nuit-là c'est aux mains de sa créature que j'ai abandonné Mando.
Début soixante-dix, un parfum de liberté flottait dans les couloirs de la faculté. Les slogans et les mots d'ordre de l'époque, en grandes lettres rouges et noires, en éclaboussaient les murs et il eût été sacrilège de songer à les faire disparaître. On avait ébouriffé les cheveux, desserré les cravates et bousculé les interdits, mais ceux que je portais en moi étaient intacts : mai soixante-huit n'avait pas fait tomber mes inhibitions. (p.14)
Ce que nous croyons découvrir, nous l'avons toujours su.
Qu'un grain se glisse dans la blessure mal refermée et tout bascule.