C'est moche quand les jeunes filles meurent
Ce que tout le monde veut entendre, c'est que vous vous soignez, que vous êtes sur la voie de la guérison, que vous allez mieux de jour en jour. Si on continue simplement à être malade, autant arrêter de leur faire perdre leur temps et se dépêcher de mourir.
Je suis une hypocrite, repoussante. Une galère ambulante. Un détritus. Je veux m'endormir et ne plus me réveiller. Mais je ne veux pas mourir. Je veux manger comme une personne normale, mais j'ai besoin de sentir mes os, ou bien je me détesterai encore plus.
Quand on est vivant, les gens peuvent nous faire du mal. Il est plus facile de se réfugier dans une cage en os, une congère ou dans la confusion. Plus facile d'enfermer tout le monde dehors.
Mais c'est un mensonge.
Alors je suis partie en vrille. Manger était dur. Respirer était dur. Mais le pire, c'était de vivre. Je voulais avaler les graines amères de l'oubli.
Se donner la mort est une chose tout à fait ordinaire, je me demande pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt. Sans doute parce que je ne dépendais de personne, et que je n'étais pas encore coupée en deux par le milieu. Être un poids pour la banquise, c'est une chose ; être un poids pour soi-même et le groupe, c'en est une autre qui n'est pas souhaitable.
Quand on est vivant, les gens peuvent nous faire du mal. Il est plus facile de se réfugier dans une cage en os, une congère ou dans la confusion. Plus facile d'enfermer tout le monde dehors. Mais c'est un mensonge.
Je ne me rappelle pas ce que c'est, de manger sans tout prévoir, sans lister les calories et les lipides, sans mesurer mes hanches et mes cuisses pour voir si je mérite de me nourrir, et conclure le plus souvent que non, je ne mérite pas, alors je me mords la langue jusqu'au sang et me ligote la mâchoire à coups de mensonges et de prétextes, pendant qu'un ver solitaire aveugle s'enroule autour de ma trachée, renifle et gratte en quête d'une ouverture humide vers mon cerveau.
Je ne devrais pas. Je ne peux pas. Je ne le mérite pas. Je suis un gros tas et je me dégoûte. Je prends déjà trop de place.
Elle me regarde mâcher et avaler. Elle constate que je ne reprends pas d'autre bouchée. Une minute, deux, trois, quatre... Il y a deux ou trois ans, je suis tombée sur l'avis d'imposition de ma mère et j'ai fait le calcul pour savoir combien elle gagnait de l'heure. Je viens de gaspiller douze dollars de son précieux temps.