Ithaque a changé. Ulysse a changé. Le fait qu'Ulysse ne reconnaisse pas son île signifie aussi qu'il n'est rien de plus difficile que de se reconnaître soi-même.
Quelle illusion de vouloir réduire la poésie à la réalité... Alors que la poésie est une part redoublée du monde... Elle transforme, déforme pour nous faire voir une vérité et une beauté supérieure.
On n’insiste pas assez sur le fait qu’Ulysse se bat contre l’aristocratie –les seigneurs prétendants- avec l’aide du « bas-peuple » : le porcher et le bouvier, Eumée et Philoetios…
D'une certaine façon, le texte nous répond que nous ne sommes rien du tout, semblables à des feuilles, personne, "Outis"...
Mais à la différence des bêtes, les hommes ont une histoire. Les hommes construisent des textes étonnants comme ce poème qui nous révèle un autre plan de l'existence. L'homme est histoire, civilisation, culture, invention, ouverture et transformation.
Bien-sûr, les hommes sont mortels, Ulysse et Pénélope vont mourir, mais l'Odyssée reste ! Le texte est là, solide et inquiétant. Nous sommes engagés dans cette communauté.
L'homme est soi et les autres !
Et surtout, n’oublie pas Ithaque. Y parvenir est ton unique but. Mais ne presse pas ton voyage. Prolonge-le le plus longtemps possible et n’atteins l’île qu’une fois vieux, riche de tous les gains de ton voyage, tu n’auras plus besoin qu’Ithaque t’enrichisse.
Sous le nom d’Homère, un ou des hommes avaient fixé une matière vivante poétique. Des voix. Les épithètes et les formules ont une fonction bien précise : reposer l’aède, lui ménager des pauses dans ces fabuleuses récitations. Milman Parry constata que lorsque ces bardes apprenaient à lire, ils perdaient leur faculté poétique…
Chez les Grecs, il faut ménager les vagabonds dont le statut renvoie à la fois au plus bas et au plus haut : ils sont liés au divin. En allant quêter parmi les prétendants, Ulysse sonde aussi leur cœur.
La mètis, cette forme d'intelligence, faite tour à tour d'astuces, de dissimulation, de mensonges, caractérise Ulysse, fourbe comme un renard, souple comme un poulpe. La mètis consiste chez lui à prendre une apparence qui n'est pas la sienne, mais cette apparence n'est pas qu'illusion, ce mensonge n'est pas qu'ignorance, c'est pour Ulysse le moyen efficace d'obtenir un résultat.
"Outis". Il y a là un jeu de mots parce que les deux syllabes de ou-tis peuvent se remplacer par une autre façon de dire, mè-tis. Ou et mè sont en grec les deux formes de la négation, mais si outis signifie personne, mètis désigne aussi la ruse, cette astuce retorse qui est l'apanage d'Ulysse.
C'est comme aux échecs, [Ulysse] ne pourra redevenir roi que si les autres pièces sont en place, si les rapports sociaux sont rétablis.