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Critique de Lucilou


Thomas Hardy, enfin!
Il y a fort longtemps que j'ai envie de me lancer à la découverte des oeuvres de cet auteur anglais, écrivain maudit s'il en fut car pressenti pas moins de vingt-cinq fois pour obtenir le prix Nobel sans jamais pourtant n'en être le récipiendaire. Si j'en juge par "Tess d'Uberville", il l'aurait amplement mérité! Enfin...
Nobel ou pas, je pressentais qu'il me faudrait un jour lire Hardy tant ce que recèle sa bibliographie rassemble les attraits dont je suis friande. Foutu XIX°siècle! Fichue Angleterre victorienne! Après maintes hésitations, c'est sur Tess que j'ai jeté mon dévolu, Jude patientera bien un peu.

On m'avait vanté "Tess d'Uberville" bien des fois, mais on aurait dû me la vanter à corps et à cris! Ce roman est un chef d'oeuvre qui me hantera encore longtemps, tout comme Tess hanta sans doute Clare, un chef d'oeuvre d'une noirceur absolue et qui mêle en virtuose la profondeur et la finesse de l'analyse psychologique de ses protagonistes au lyrisme et à la modernité. Lecture douloureuse quoique addictive, "Tess d'Uberville" est un envoutement puissant qui vous retient prisonnier et vous fait à peine l'aumône de quelques respirations entre les suffocations.

Parce qu'il s'est découvert une lointaine parenté avec les d'Uberville, ancienne dynastie au sang bleu et aux armoiries chevaleresques, de ces familles qui forgent les légendes et les romans, Jack Durbeyfield, pauvre bougre vaguement alcoolique, se découvre des idées de grandeurs. Son épouse, elle, a -entre deux chansons- parfaitement conscience que pour bâtir des châteaux en Espagne, il ne faut pas perdre le nord, aussi pousse t-elle sa fille aînée, Tess, à s'en aller chercher du travail auprès des nouveaux d'Uberville, leur lointain cousinage en guise de sauf-conduit.
Tess quitte donc les siens et son village natal pour le domaine de ses glorieux ancêtres où elle fera la rencontre d'Alec d'Uberville.
Dès lors commencera pour la jeune fille un long chemin de croix éclairé ça et là par de trop rares éclats de lumière, qui ne rendront sa chute que plus douloureuse encore.

Le tableau brossé par Thomas Hardy est résolument pessimiste et d'une tristesse sans fin. On ne peut qu'être émue par Tess, digne et courageuse, humble et sans doute trop confiante qui, parce qu'elle n'est pas née du bon côté de la société et parce qu'elle n'a pas reçu l'éducation suffisante, devient, est la victime, la proie même de cette société inique qui ne lui ménage rien d'autre qu'une véritable descente aux enfers pour une faute dont elle endosse -injustement- la culpabilité- jusqu'à sa fin prématurée. On aurait pourtant voulu y croire! J'aurai pu hurler de la voir traitée en coupable, j'aurai voulu hurler. On devrait tous avoir envie de le faire d'ailleurs.
Pour autant et malgré ce personnage presque saint, cet ange qui déchoit à coups de morale puritaine, de violence, de non-choix et de soumission (mais pouvait-elle seulement faire autrement?), le roman ne bascule à aucun moment dans le pathos dont il n'a ni la lourdeur, ni les grosses ficelles. Thomas Hardy évite cet écueil par la clairvoyance qu'il met à construire chacun de ses personnages dont il dit bien toute la complexité, grâce à l'hyperréalisme dont il fait preuve notamment dans la peinture de la société et de ses atavismes.
Le propos est noir, très noir (c'était d'ailleurs l'argument pour ne pas couronner du Nobel l'oeuvre de Hardy! Comme si la noirceur était exempte de grandeur et de beauté...)mais d'une folle modernité. Il y a une forme d'engagement désespéré dans Tess d'Uberville, de dénonciation passionnée qui couvent sous la beauté d'une langue aux accents lyrique (comme quoi, naturalisme et poésie ne sont pas forcement antithétiques, n'en déplaise aux grincheux), belle et âpre comme les paysages de l'Angleterre et du Wessex, région fictive, qui dit tant de l'ère victorienne et de toutes les Tess qui ont dû y souffrir. Parce que oui, ce roman n'est pas seulement grandiose et réaliste: il est infiniment crédible aussi.

J'ai refermé le livre presque soulagée, mais à regrets aussi. Cependant, je garde l'espoir de retrouver Tess dans pas si longtemps: le film m'attend!
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