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Critique de berni_29


Nord-Michigan est selon moi l'un des plus beaux romans que j'ai lus de Jim Harrison, avec Dalva. Mais puis-je être objectif lorsque je vous évoque cet immense romancier qui a su bousculer mon âme de lecteur ?
J'ai aimé les personnages, ils sont attachants. J'ai aimé cette nature immense qui emplit nos yeux et nos corps en même temps, j'ai aimé ces paysages abyssaux, presque infinis. J'ai aimé m'y perdre, ici au bord d'un lac, plus loin dans le cours d'un ruisseau, au fond d'une vallée. J'ai aimé entendre le bruit du vent dans les roseaux, le cri des coyotes pas très loin de moi quand surgissait la nuit et ses enchantements.
Nous sommes dans les années 50, c'est une page de l'Amérique, une page belle, intime, chaleureuse. Il y a tout d'abord le personnage principal, Joseph. Joseph appartient à une famille d'origine suédoise qui a émigré et est venue s'installer ici, dans le nord du Michigan, installer une ferme.
Joseph appartient à cette deuxième génération. Il est resté à la ferme, mais il est aussi enseignant. Sa particularité : une blessure suite à un accident lors de travaux agricoles et qui le fait boîter à jamais. Il aurait pu perdre cette jambe qui l'encombre aujourd'hui. C'est le docteur Evans, l'ami de la famille, qui a permis d'éviter l'amputation, en intervenant à temps. C'est un véritable ami, il revient tout au long du roman, c'est même pour moi le personnage que j'ai préféré dans ce livre, j'aurais aimé lui ressembler, même s'il a soixante-dix ans et est alcoolique.
Le docteur Evans a accompagné la famille de Joseph depuis le début. Il est tout le temps là quand il faut. Il fut là souvent et il est encore là avec sa vieille guimbarde, sirotant des whiskies, fumant le cigare, médecin alcoolique mais lucide et bienveillant comme personne ne pourrait l'être à sa place, le coeur gros comme cela. Il est là lorsque la mère de Joseph aborde l'ultime chemin de sa fin de vie. Il est sans doute là encore lorsque Joseph s'égare, se croit encore jeune comme un gamin ou tout simplement fou comme quelqu'un qui aime.
Car Joseph est entre deux eaux. Pour quelqu'un qui boit lui aussi beaucoup de bières et de whisky, c'est une ironie. Nous dirons que son coeur balance entre deux femmes. Il y a tout d'abord Rosalee, l'amie d'enfance, veuve puisque son mari Orin, le frère de Joseph, a été tué lors de la guerre de Corée. Tout serait simple, limpide, sauf qu'il y a cette adolescente Catherine, élève de Joseph qui tourne autour de lui et ne tarde pas à s'emmouracher de celui-ci. Il n'aurait jamais dû céder à ses avances, mais voilà, au hasard d'un chemin, la jeunesse éperdue comme un trait de feu lui a tendu les mains, tendu les lèvres, tendu son corps ivre de jeunesse, et Joseph, vieillissant a renversé la table, les verres, ses années d'illusion, ses rides et tout le reste comme dans un tourbillon effréné l'amenant au plus près du vertige.
C'est un livre qui fait l'éloge de l'amour et du sang qui bat dans les veines, de l'amitié et de la famille, mais la famille au sens large, très large, embrassant tout. Parfois les deux se mélangent en effet. le docteur Evans n'est-il pas un frère, ou bien tout simplement un père pour Joseph ? Tout comme Jim Harrison vis-à-vis de nous-mêmes.
La nature est là aussi, immense, Jim Harrison n'a pas son pareil pour la convoquer et nous la faire vibrer, sentir, toucher au plus près de nos corps. C'est un roman sensuel et qui nous enivre de ses parfums.
Ici j'ai vu un chat tapi sous la véranda, un geai tout près qui cherchait à l'agacer derrière la vitre. Et puis plus loin mes pas m'ont entraîné au bord de cet étang où Joseph enfant se baignait avec Rosalee et sa soeur. Les buissons sont en fleurs. Je ne sais pas si c'est le bruit des guêpes ou celui des pages qui défilent sous mes doigts. Pourquoi la nature est-elle si belle sous les mots de Jim Harrison ?
Mais la nature n'est qu'un prétexte, un chemin, une rivière où courir pieds nus. Cet homme aussi fouille nos failles. Nos erreurs deviennent des errances. Au bord des étangs, il y a toujours et pas très loin, des marécages où nos pas risquent de s'enfoncer à chaque instant. Les bécasses semblent se moquer de nos gestes maladroits. On a beau avoir aimé toute sa vie, ce n'est pas une question d'expérience. Jim Harrison semble en savoir plus que nous sur la question.
Un rat musqué pointe son museau hors de l'eau. Son étonnement ressemble au visage que je dois avoir en égrenant les pages de ce livre.
Plus tard c'est le soir, des oiseaux se regroupent dans un coin du paysage comme s'ils étaient déjà prêts à immigrer vers le sud. Et nous, que devenons-nous dans ce fatras, dans cette écume du jour qui chavire ? Sommes-nous prêts aussi à prendre notre envol ? Et pour aller où ? Vers quels cieux éperdus ? Quels rivages abandonnés où croire encore qu'un vol de canard frôlant le bord de l'automne peut nous émouvoir, tandis que la paix du monde se refuse encore à nous.
La jeunesse a mis le feu dans le coeur et le corps de Joseph et dans les nôtres aussi, tant qu'à faire. C'est là, je le reconnais volontiers, l'immense générosité de Jim Harrison.
Un canard en mue prend la fuite alors que j'écarte les pages du livre pour venir à lui. Notre jeunesse chavire. Tout semble fragile, presque illusoire au moment où je referme ce roman.
Je me pencherais bien encore une dernière fois vers les remous de cet étang pour boire un peu d'eau fraîche, avant de cheminer vers un autre livre.
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