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Critique de colimasson


La lecture des essais de ce recueil n'est pas aussi difficile qu'il serait possible de l'imaginer. La langue est claire, les images qu'elle propose relèvent d'une poésie simple, sans excès de fioritures. La question de l'être de l'étant constitue bien sûr le fil conducteur.


Les essais sur lesquels j'ai envie de raconter quelques anecdotes :


- Hegel et son concept de l'expérience. Heidegger nous parle de la distinction effectuée par Hegel (anti métaphysique au possible) entre le savoir réel sur l'être de l'étant, que nous ne pourrons jamais atteindre, et le savoir naturel qui, seul à notre portée, se définit par la seule connaissance qu'il nous est possible d'atteindre du fait de la structure même de notre pensée – une connaissance incomplète, bien sûr. Ainsi, la vérité serait seulement dialectique, non plus immédiate et principielle comme résultat de l'adequatio rei et intellectus.


- le mot de Nietzsche « Dieu est mort ». Heidegger donne de cette célèbre formule de Nietzsche une interprétation qui déjoue toutes les explications simplistes. Il suppose que Nietzsche souhaitait surtout dénoncer la fin de la métaphysique telle que nous l'avons toujours connue depuis Platon et Aristote en tant qu'elle désigne l'idéal d'un suprasensible. Bien que cette définition du métaphysique soit sujette à discussion, Heidegger montre qu'il ne pourra s'ensuivre qu'un nihilisme complet (suppression du sensible) soit un nihilisme incomplet (remplacement des valeurs anciennes par des valeurs nouvelles qui varient selon la sensibilité des dominants du moment). Nous savons ce qu'il en est aujourd'hui. Rappelons également le bon mot de Philippe Muray qui, à la place du nihilisme complet et du nihilisme incomplet, préfèrerait parler respectivement de l'athéisme et du nihilisme (la croyance en des idéaux faux relevant beaucoup plus du rien que le rien lui-même).


- Pourquoi des poètes ? Heidegger se rapproche de Rilke pour divaguer sur la question. Sont poètes ces « mortels qui, chantant gravement le dieu du vin, ressentent la trace des dieux enfuis, restent sur cette trace ». Pourquoi pas. Alors, pourquoi des poètes, encore, alors que la sécularisation a donné toutes les mauvaises réponses que nous attendions pour ne plus jamais avoir à nous poser la question de l'essence de l'être autrement que sous le mode de l'angoisse, c'est-à-dire de l'évitement ? Encore une fois, nous pensons à Philippe Muray et à ses célèbres essais se demandant pourquoi des romans à l'époque de l'effacement de toute capacité de négativité.


- La parole d'Anaximandre. Heidegger nous propose d'assister à la naissance d'une des premières paroles de la pensée occidentale. Nous pouvons ainsi contempler l'avènement de la pensée grecque qui fit advenir pour la première fois et d'une façon unique l'être de l'étant à la parole. Les tentatives ultérieures de traduction sont ratées, juge Heidegger, qui considère comme fatal l'éloignement de l'homme du principe. Un principe qu'il ne semble toutefois pas vraiment envisager d'un point de vue métaphysique, ce qui entraîne ainsi les traditionnalistes à considérer Heidegger comme un imposteur.


Heidegger déplore que notre civilisation n'ait jamais réussi à rien dire de la vérité de l'être. Les tentatives des Eglises seraient donc des échecs. Il ne croit pas non plus en la possibilité d'une infusion de cette vérité dans cette vie même par l'usage de l'Intellect. Ces raisons doivent expliquer que Heidegger ne plaît pas à la pensée traditionnelle.


« Même là où la pensée pré-platonicienne prépare, en tant que début initial de la pensée occidentale, le déploiement de la Métaphysique par Platon et Aristote, même là l'être n'est pas pensé. […] L'Histoire de l'être commence, et cela nécessairement, avec l'oubli de l'être. »


Si une certaine humilité était encore de mise au cours de la longue histoire qui nous a traîné de ces temps antiques à nos temps modernes, Heidegger énonce la crainte que la sécularisation veuille régler le problème une bonne fois pour toute en réduisant l'être à l'étant. C'est en ce sens que sa pensée témoigne d'un pessimisme anti-moderniste, c'est-à-dire anti-progressiste.


« Ce n'est pas la bombe atomique, dont on discourt tant, qui est mortelle, en tant que machine toute spéciale de la mort. Ce qui depuis longtemps déjà menace l'homme de mort, et non pas d'une mort quelconque, mais de celle de son essence humaine, c'est l'inconditionnel du pur vouloir, au sens de l'auto-imposition délibérée en tout et contre tout. Ce qui menace l'homme en son être, c'est cette opinion qui veut se faire accroire à elle-même et selon laquelle il suffit de délier, de transformer, d'accumuler et de diriger pacifiquement les énergies naturelles pour que l'homme rende la condition humaine supportable pour tous et, d'une manière générale, « heureuse ». »


A cette même période, Freud avance l'hypothèse d'un inconscient à peu près seul apte aujourd'hui à nous rappeler que l'être ne peut être réduit à l'étant, celui-ci étant toujours soumis à l'inconnaissable. Fortuitement ou non, Lacan fut fort bien inspiré de ses lectures heideggériennes, entre autres influences émérites, pour orienter plus tard la relecture de l'oeuvre freudienne. Ce n'est pas sans délices qu'un jeu de pistes se déroule ainsi à travers la lecture de Heidegger.


A titre d'exemple, concernant la division du sujet et sa structuration paradoxale en un noeud borroméen :


« Dans la nature de la conscience, le savoir et l'objet sont divisés, et pourtant ne peuvent jamais se séparer l'un de l'autre. Dans la nature de la conscience, l'objet et le concept sont de même divisés dans l' « en-tant-que », et pourtant ne peuvent jamais se séparer l'un de l'autre. Dans la nature de la conscience, ce couple lui-même est divisé et pourtant ne peut jamais se scinder » ;


L'articulation du sujet à l'Autre dans la fidélité à son désir :


« Tout penseur est dépendant, à savoir de l'adresse de l'être. L'ampleur de cette dépendance décide de sa liberté par rapport aux influences dévoyantes » ;


L'inconscient (le Réel) :


« L'Histoire de l'être commence, et cela nécessairement, avec l'oubli de l'être. »


Ce n'est pas parce que je n'ai pas cité les autres essais qu'ils ne sont pas bons.


A plus Heidegger.
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