Le Seigneur caché

- Tu crois avoir gagné mon cœur ?
- Eh bien, dit-il en tapant ses doigts à la surface de l’eau. Cela me semble plutôt juste, tu ne trouves pas ? Puisque tu as volé le mien. [...] C’est ridicule de voler un truc comme ça, continua Min. C’est moche, pas pratique et ça ne vaut rien.
- Peut-être bien.

— Nous avons un marché, Monsieur.
Bien sûr, il aurait dû savoir qu’un serpent comme Sabadine n’aurait jamais accepté un refus. Il le réalisa au moment où la porte de l’étude s’ouvrit en grand et qu’un homme habillé d’une tunique bleue entra. Un sorcier. Les Sabadine étaient assez riches et puissants pour employer un sorcier. L’homme traînait un Harry reniflant derrière lui.
— Harry ! s’écria Min.
Harry releva les yeux. Ces derniers étaient grands ouverts et son visage strié de larmes. Un sceau noir de la taille d’une pièce avait été brûlé sur sa joue.
Le cœur de Min se glaça.
Ils l’avaient maudit.
Les Sabadine avaient jeté une malédiction sur Harry.
Merde.

Aiode leva la main et traça le sceau sur la joue d’Harry.
— C’est…
Elle soupira.
— C’est une malédiction très coûteuse et très compliquée. Si je ne me trompe pas, c’est un sort de lune.
— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Min.
— Que tu as jusqu’à la prochaine pleine lune avant que ça ne le tue, lui répondit Aiode.
Harry cligna des yeux et des larmes coulèrent le long de ses joues.
— Est-ce que tu connais un moyen pour briser la malédiction ? la questionna Min.
— C’est un sorcier qui a fait ça, répliqua Aiode.
Bien, ça répondait à ça, déjà.
Il y avait pensé, mais maintenant qu’Aiode le confirmait, cela lui fit un coup. Les sorciers étaient extrêmement puissants. La majeure partie d’entre eux travaillaient directement avec le roi, usant de leurs Dons pour défendre Amberwich des attaques du Seigneur Caché. Ils étaient craints de tous, même des autres Doués.
— C’est une malédiction par le sang. Elle ne peut être brisée que par celui qui l’a jetée. Cette malédiction…
Les sourcils d’Aiode se plissèrent et elle secoua la tête.
— Utiliser cette malédiction sur Harry, c’est comme si on prenait une enclume pour tuer une fourmi.

— Aramin Decourcey, dit-il d’un ton monotone.
— Lui-même, répondit Min en se demandant s’il y avait un moyen de négocier avec le vieil homme.
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— Votre apprenti, déclara-t-il. Sa famille m’envoie pour le ramener à la maison.
Une lueur d’une émotion inconnue passa sur le visage de Kallick. Il leva à nouveau la main, une boule de lumière apparaissant dans sa paume. Du feu.
— Eh ben, c’est très impressionnant, pour un hedgewitch, commenta Min, en esquivant la boule de feu qu’il lui envoya.
Beaucoup trop impressionnant pour un hedgewitch, pour être honnête, mais cela ne faisait aucune différence qu’il fût un hedgewitch, un magicien, un mage ou un sorcier. La hiérarchie des Doués était de la pure sémantique pour Min, bien que cela signifiât que les Sabadine lui avaient menti. Aucun hedgewitch n’était capable de créer du feu.

Le garçon n’était pas conventionnellement beau, mais depuis quand aimait-il le conventionnel ? Son nez retroussé et sa large bouche n’attireraient peut-être pas l’attention d’un artiste en quête de beauté incroyable, bien que ses pommettes, admit Min, feraient pâlir n’importe quel sculpteur. Le garçon lui faisait penser à un chiot à moitié adulte, avec de longs membres encombrants, et il n’arrivait pas à décider s’il allait devenir une beauté dévastatrice ou, au contraire, un véritable laideron. Il trouvait les deux idées aussi séduisantes l’une que l’autre.
Bien entendu, il avait toujours eu des problèmes pour différencier les personnes qu’il voulait frapper et celle qu’il voulait baiser ; c’était si souvent les mêmes.

— Putain d’arbres, murmura Harry en jetant un coup d’œil dans les bois.
Min sourit malgré lui. Harry était un petit merdeux agaçant, à sa propre image.
Il conduisit Harry vers la route, le relâchant avec une tape dans le dos. Les hommes de Robert marchaient non loin, étirant leurs membres et profitant de l’occasion pour manger. Min sortit un pain de sa tunique et en arracha un bout avec ses dents, cherchant Kaz du regard, tout comme Harry cherchait Talys.
Ils étaient tous deux de parfaits idiots.

Le souffle de Kaz était chaud contre ses lèvres.
Min se servit de sa langue pour ouvrir la bouche de Kaz. Il avait le goût de la bière de Joderman. Chassant le parfum amer avec sa langue, il la glissa sur les dents de Kaz et contre son palais, avant de se retirer et de sucer un instant sa lèvre inférieure.
Kaz fit un petit bruit de surprise et lui enfonça ses doigts dans l’épaule. De sa main libre, Min trouva la tête de Kaz et il glissa ses doigts tremblants dans ses cheveux.
Il approfondit à nouveau le baiser, cette fois-ci en poussant sa langue contre celle de Kaz, puis en la tirant vers l’arrière pour l’encourager.
Kaz gémit et frissonna.
Min suça sa lèvre inférieure encore une fois puis s’éloigna avec regret.
Les yeux sombres de Kaz étaient grands ouverts, ses pupilles étaient dilatées. Sa bouche humide resta ouverte, et sa mâchoire peina un moment avant qu’il ne parvienne à prononcer quelques mots.
— Tu… Tu vas me donner ce soir, alors ?

— Tu lui as dit quoi ?
— Je lui ai dit que je reviendrai le chercher. Une fois que tu serais en sécurité.
Il essaya de sourire mais ne fut pas sûr de réussir.
— Et tu sais ce qu’il m’a dit ?
— Quoi ?
— Il m’a dit de ne pas faire de promesse que je ne pourrais pas tenir.
— C’est un bon conseil, Min, répliqua Harry en haussant les sourcils. Mais comment sais-tu si tu peux tenir tes promesses ou non, si tu ne te bouges pas le cul et que tu n’essaies pas ?
Min cligna des yeux face à l’eau que Freya déposa devant lui. Harry avait marqué un point.