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Citations sur Un héros (32)

Je suis entrée dans ce quartier dit de sécurité dont la porte était verrouillée à grand renfort de serrures, ce qui me semble être à la fois précieux, ridiculement inefficace, un peu comme s'il avait fallu la présence d'un grand chambellan couvert de chaînes dans une maison pour annoncer les noms des invités conviés à un simple dîner. Ou que ces verrous étaient en fait destinés à ceux qui devaient se prémunir de la folie et qui, incapables de la comprendre, l'alimentaient d'autant avec leur peur. Un infirmier, qui ressemblait à un moniteur de ski, m'ouvrit et je pénétrai dans un espace où il n'y avait pas de fauves, mais des gens jeunes et des plus vieux qui perdaient leurs pas dans une salle avec une machine à café pour seul meuble et n'avaient pas simplement l'air dérangé mais de s'emmerder royalement.
Je m'installai près de son lit. Pour la première fois de notre existence, Laurent me parlait à visage découvert. Il pensait que l'on avait inséré des circuits électroniques dans son cerveau. Son masque était tombé. Il avait fallu qu'il tente de mettre fin à ses jours pour que l'on prenne la peine d'évaluer son état mental et qu'il parle de ce qui le tourmentait. Je mesurais l'absence sidérante de tout recours relationnel, le manque de lien, de confiance avec qui que ce soit, et de la solution simplement la plus humaine qui aurait pu rompre son extrême isolement : la parole. Depuis des années, sa psychose bouillonnait comme un chaudron sur le feu, il manifestait maints signes d'étrangeté. Apprenait cinq langues simultanément; envoyait des curriculum vitae extravagants de vingt pages à des employeurs potentiels en ayant effectué trois stages d'été dans sa vie; tenait des propos en décalage complet avec la réalité; s'enfermait dans une retraite totale, coupant court à toute communication. Mais personne n'avait réagi.
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Après la séparation de fait de mes parents, on se voyait occasionnellement lors des fêtes et des vacances. Son emploi du temps ne s'accordait que rarement avec le calendrier scolaire. Son engagement politique, ses nouveaux enfants, sa vie mondaine, les fréquents voyages à l'étranger et son intense vie adultérine concouraient à son éloignement. Ma relation avec lui s'apparentait donc à un jeu de pistes. Une carte postale m'accueillait parfois sur la table quand je rentrais de l'école, indice de l'existence de ce père insaisissable qui s'était déjà envolé vers une autre destination. Toujours le même script : "Ma petite Félicité, je suis à Séoul où je vends des métros. J'espère que tu es sage et que tu travailles bien. Ton Papa qui t'embrasse." Nos échanges tenaient, pour l'essentiel, en ces cartons de dix centimètres sur quinze.
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Toute ma vie, j'ai été dépossédée de mon père par les femmes. Le processus commença par les filles au pair, un lent manèges d'Anglaises et d'Autrichiennes, qui apparaissaient puis disparaissaient sans explications. Lorsqu'il était à la maison, événement formidable, il passait le plus clair de son temps à étudier leur ballet avec une attention soutenue puis à répondre à leurs doléances jusqu'à la saison des soupirs, puis à celle des pleurs dont j'aurais pu calculer les cycles avec autant de précision que pour le calendrier lunaire. La hiérarchie de ses désirs nous était parfaitement connue. C'était peut-être inévitable de la part d'un père aventurier qui ne connaissait aucune frontière, mû par une volonté de transgression permanente. Il fallait s'y résoudre.
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Qu'est-ce-donc qu'un héros? Un héros agit-il dans l'inconscience ou sa conduite est-elle le produit d'un acte délibéré? Est-ce quelqu'un qui sacrifie sa vie pour sauver celle des autres? Ou l'acteur d'une épopée bien présentée qui fait rêver et bouleverse les foules? Un exemple de ce que nous ne sommes pas capables de faire, récit d'une odyssée qui nous rend plus forts, dans lequel nous nous projetons, soulagés de ne pas avoir à affronter de telles épreuves?

Toutes les époques ne fabriquent pas des héros. Le début des années 1950 réunissait les ingrédients nécessaires, en gestation pendant les années d'occupation : l'humiliation, la sédentarité imposée, l'ignorance de l'étranger, les restrictions, l'absence de toutes distractions. L'après-guerre perdurant contribuait à donner à cet exploit une portée formidable sur les imaginations et les esprits. Financée sur deniers publics et sponsorisée par une entreprise de presse, le résultat atteint par l'Expédition dépassait toutes les espérances de ses organisateurs.
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L'aveuglement général : des parents, des fratries recomposées, des tantes, des curés, des copains, des professeurs. Laurent était passé à travers toutes les mailles du système. Malgré son agressivité effroyable et son comportement étrange, personne n'avait distingué les traits d'une personnalité complexe, des signes d'une éventuelle psychose. On ne pouvait se résoudre à la simple éventualité d'une affection mentale. Il était intolérable à notre univers, dans lequel tout ne devait être que réussite, puissance, filiation superbe, séduction et légende, d'avoir un malade, mental de surcroît.
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Toutes ses années, il m'apparut aussi inaccessible que l'homme brandissant son piolet sur cette photo, d'abord publiée en exclusivité par Paris Match. Il ne me semblait jamais être redescendu de ce versant sur lequel il se dresse en pleine tempête, tenant à deux mains le drapeau français. Quelque chose d'autre que ses mains et ses pieds n'était-il pas resté sur les flancs de ce sommet considéré comme une déesse par les Népalais : sa sensibilité ? son humanité ? sa propre estime ? Ressentait-il une secrète culpabilité à avoir entraîné Louis Lachenal dans cette folie, même au nom de l'intérêt national, folie dont Lachenal n'allait jamais se remettre ?
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Je hais ce milieu faux, corrompu et antisémite. Je n'estime que le monde des idées
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Toute ma vie j'ai été dépossédée de mon père par les femmes.
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Autrui n'existe pas, sauf à le mythifier davantage. Pour sauver les apparences d'aune ascension de légende, il a réécrit l'histoire, trahi et négligé son entourage sans jamais avoir le sentiment d'avoir fait mal puisque la société le jugeait bien. Tout était bon pour parfaire la statue de héros qu'on lui avait demander d'ériger autour de sa personne. La vérité, pour lui, est une éclipse. La distinction entre vérité et mensonge, réalité et fiction, responsabilité personnelle et collective, lui est devenue insupportable. Il a fini par l'anesthésier complètement. Le fardeau du héros de propagande est-il trop lourd ? Faut-il brûler quotidiennement ce pour quoi on est acclamé afin de mieux conjurer la fin qui, elle, est implacable ? A quel point cette condition est-elle supportable pour lui et, après, pour la génération de ses fils
pages 41-42.
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Un beau jour, Laurent disparut. Il avait abandonné la voiture qui lui restait sur une route. Aucun indice, aucune trace de lui. Pendant plus de deux mois, décrit le rapport de police, il a fui dans les campagnes, armé de couteaux de cuisine, dormant à la belle étoile dans les champs et dans les communautés religieuses qui acceptaient de l'accueillir et dont il espérait ne pas être trahi.
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