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Critique de EvlyneLeraut


« Le caprice de vivre » pourrait être une pièce de théâtre mélodramatique et contemporaine. Tant ce récit dans la complexité des émotions, de bruit et de fureur, de claquements de porte, de passions amoureuses, de ce désir violent est irrépressible et magistral.
Magnétique, sensuel, dans cette éclosion de trois trentenaires, deux hommes et une femme, « Le caprice de vivre » est un triptyque de prodigalité.
Vibrant, le cri de la vie, la quête d'un existentialisme qui se tisse au fil des pages.
Ici, nous sommes dans une scène de rage, politique et sociologique.
L'écriture de Jadd Hilal est signifiante, posée au plus juste, avec une maturité majeure pour la compréhension de notre monde. Des diktats migratoires, l'identité comme gouvernail. L'écriture tisse une trame qui nous revient à la figure comme un boomerang. Il sait. N'impose rien. Parle en son nom et aux peuples qui bordent ses lèvres.
C'est un livre intuitif, qui dévore les a priori. On pénètre la scène de ce trio qui vit ensemble dans un appartement à Paris depuis quinze ans. Jusqu'au jour où les chaises vont voler en éclat. Où les luttes et les évènements, les changements de cap seront le baisser de rideau.
Houmam est le narrateur, écrivain, dont ses romans « Hors-Sol » et « Jamais la nuit » eut un succès pour le moins discret. » On ressent le double cornélien de Jadd Hilal. Houmam est palestinien, bouleversé par son arabité. S'émanciper de cet étau, atteindre la rive de l'universalité. Lui, brillant, vif, intelligent, qui rassemble les fils et tisse en homme qui cherche l'air, le tracé de son advenir. Nous sommes dans une géopolitique visible à l'oeil nu. Dans le grondement d'un migrant qui veut donner la preuve de ce qui est juste et vrai. Son appartenance à lui-même et au rythme d'un pas européen. On aime ses rages, ses larmes aux yeux, son amour viscéral pour Warda, « Rose des sables ». Ses silences et ses frustrations et la narration formidablement dressée comme une toile de maître, mature et profonde.
« Pourquoi Phoriche venait-il de me refuser mon dernier manuscrit en alléguant qu'il n'était pas assez dramatique et « donc » arabe ? »
« Vous écrivez : Ce n'est pas que les pays n'existent pas, c'est que les oeuvres nous les font parfois oublier. Ces oeuvres, il faut les attraper au vol. »
Warda est un feu follet. Ravageuse, entière et engagée, dans une aura sublimée. Elle est grand reporter. Elle travaille pour le journal le Monde. «  Ses reportages sur l'EI lui avaient valu en 2016 le prix Albert-Londres pour la presse écrite. »
Elle déambule dans l'appartement en petite culotte. La pudeur oubliée, libre et désirable.
Elle vit une relation physique avec Souleymane. L'exutoire de ses reportages risqués. Elle évacue un trop plein d'adrénaline en gestuelles assumées.
Souleymane est lisse et flegmatique. Il est ami avec Houmam depuis toujours. Il passe ses journées sur le canapé devant son ordinateur. Il enquête sur les chameaux de course et les violences infligées à ces derniers. Warda, elle revient d'Irak. Elle est troublée par ce qu'elle a découvert. Son grand-père aurait fauté.
« Que, quoi, Houmam Basara ? Comment dois-je te le dire, que c'est moi qui décide ? Que ce n'est pas ton problème ? Que rendre justice à ces Juifs, attester la vérité envers et contre tout, c'est ce que je veux faire et c'est ce que je ferai ? -Mais… -Je n'attends pas de toi que tu me comprennes. »
Houmam et Warda vont être le symbole des diktats, des influences des origines. La séparation mentale et les déchirures des incompréhensions. Il devine le délitement de ce triangle entre les sentiments inavoués et les blessures incommensurables.
Comme s'ils étaient la cartographie des généalogies. Les identités floutées par les religions, par les disparités. Mais ils sont le libre-arbitre et la citadelle de leurs convictions.
« Il sait que la violence voyage, sur le dos des générations. » « Le chemin que nous n'emprunterions pas ensemble mais dont la terre, le sol, était identique. » « Je sais les conséquences qu'aurait ta révélation sur ce qu'on imagine de nous, de nous les Arabes, alors je me tais là-dessus. » « Rien ne m'est plus « étranger » que le sentiment de venir d'un lieu. »
« Le caprice de vivre » est un feu qui brusque l'entendu. Un livre de renaissance et une fresque de batailles et d'espérances. Ici, tout sonne vrai. Les tragédies pour atteindre la liberté de conscience. Les êtres écorchés vifs par les doutes et les peurs. La volonté d'atteindre les résiliences comme un pardon à soi-même. Les croisements des destinées : « Survivre ou faire survivre ? »
Le macrocosme qui brise les faux-semblants. Un livre brûlant et brillant. Comme la vie.
Publié par les majeures Éditions Elyzad.

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