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EAN : 9782494463059
264 pages
Elyzad (22/08/2023)
3.84/5   19 notes
Résumé :
Dans un appartement parisien, Humam vit en colocation avec deux amis trentenaires depuis ses études. Il y a la flamboyante Warda, devenue journaliste pour crier la vérité au monde ; Souleymane, ostéopathe plus préoccupé par la cause animale que par l'Homme ; et Humam, écrivain raté qui cherche sa place entre parisianisme et identité arabe, transi d'amour pour Warda, totalement paralysé lors des avances très sexy de celle-ci. L'équilibre du trio se délite lorsque War... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Un trio d'amour et d'amitié

Dans son nouveau roman, Jadd Hilal rassemble un ostéopathe, une journaliste et un écrivain qui peine à publier dans un appartement parisien. Ces colocataires vont tenter de se trouver un avenir entre recherche identitaire, amours contrariées et histoire familiale troublée. Une quête intranquille.

Warda, Souleymane et Houmam, le narrateur, vivent en colocation dans un appartement parisien. Souleymane est ostéopathe, mais il s'intéresse de très près à la cause animale. Au moment où s'ouvre le récit, il effectue des recherches sur les mauvais traitements causés aux chameaux, notamment ceux qui sont entraînés pour les courses dans les pays arabes. Warda, quant à elle, est grand reporter. Elle revient d'Irak où elle a effectué une série de reportages, notamment pour le Monde. Finalement, le moins bien loti est Houmam. Après avoir publié un premier roman qui ne s'est guère vendu, il a vu son éditrice refuser tous ses manuscrits. Et si la dure réalité, à savoir la quasi-impossibilité de vivre de sa plume pour l'écrasante majorité des écrivains en France, il ne se voit pas faire autre chose. Alors, il écrit leur histoire, celle du «trio d'amour et d'amitié» qui pourtant ne va pas fort, Warda ayant choisi de congédier Houmam qui se refuse à elle. Voilà sa «rose des sables qu'il aime à en crever la bouche ouverte» prendre de la distance.
Le malaise qui s'installe tient aussi à l'histoire familiale, à ce sentiment de culpabilité qui habite Houmam qui a choisi de ne pas suivre les siens en Palestine. Alors chaque fois qu'on s'en prend aux arabes, il se révolte, s'imagine que ce sujet est tabou car il ne fait que renforcer les préjugés, souligner leur sauvagerie.
Une position qui va très vite l'opposer à ses colocataires et en particulier à sa rose des sables partie en quête de vérité sur le rôle joué par un ancêtre au passé trouble.
Jadd Hilal raconte avec beaucoup de justesse cette relation d'amour-haine, faite d'élans amoureux suivie de rejets tout aussi intenses. Cette version actuelle de Jules et Jim, d'une femme entre deux hommes, montre aussi combien il est difficile d'aimer tant que l'on n'a pas résolu sa propre quête d'identité. Un mal-être que le sexe et l'humour ne peuvent que dissimuler quelques instants.
Si la femme libre qu'est Warda nous rapproche des personnages de Des ailes au loin, le premier roman de l'auteur, on retrouve aussi dans les questions existentielles de Houmam les problématiques de l'exil qui sont aussi au centre de son second roman Une baignoire dans le désert où on voit le jeune Adel fuir dans le désert suite au divorce de ses parents. Avec moins de candeur, Houmam pourrait être un Adel qui a pris de la bouteille.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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La lecture de ce livre était facile et légère, la plume très accessible et le texte aéré : le Caprice de vivre s'est laissé dévorer en quelques heures à peine.
C'est avant tout une histoire de rapports humains, de trois amis, la trentaine, deux hommes et une femme, en coloc depuis quinze ans. Je devrais dire « en statut quo » depuis quinze ans : Houmam, le narrateur, est fou amoureux de Warda, mais se refuse à elle ; Warda, accro au sexe, désire Houmam et noie sa frustration en couchant bruyamment avec le troisième coloc, Souleymane. Entre ses mains, le sexe devient une arme et un bouclier : un moyen de se venger, de décompresser, de tenter, de prendre le pouvoir… Et Souleymane, lui, est une incarnation à lui tout seul de la placidité et de l'immobilisme.

Pour être honnête, je n'ai pas cru à cette situation, qui est littéralement une bombe à retardement. Entre les frustrations des uns, les désirs des autres, l'amour, l'amitié, le sexe, le caractère agressif de Warda… Quinze ans de vie commune fusionnelle avec toutes ces émotions ?
Pire : je n'ai pas éprouvé d'empathie pour la journaliste et son caractère impossible. Même si j'ai été touchée par son courage, son sens de la justice, sa ténacité et son refus catégorique du sexisme, sa capacité à hurler sur ses amis, à bouder et à se venger de la manière la plus mesquine m'ont révoltée (comme en témoigne ce passage :
).
Elle me fait beaucoup trop penser à ma propre coloc, que je ne peux plus supporter, et je découvre que ces comportements sont infiniment plus glamour dans la littérature que dans le monde réel.
Mais les mesquineries du narrateur ne sont pas en reste non plus, et j'ai levé les yeux aux ciel plusieurs fois devant certaines décisions qui vont à l'encontre du bon sens et du consentement.

Les scènes de sexe sont assez détaillées, mais sans être crues. J'ai quelques fois été surprise par certains mots vulgaires qui tranchent avec l'élégance de la plume (il y a des « bites », des « chattes », et sur la page suivante, des tournures de phrases pleines de poésie). le contraste est déstabilisant, mais j'imagine que c'est l'effet recherché. N'ayant pas l'habitude de lire de la littérature érotique, j'ai été déconcertée par la manière quasi surréaliste dont ces scènes sont intégrées à l'histoire, mais aussi par des détails de la vie en coloc (à connotation sexuelle, évidemment) qui sont à des années-lumière de tout ce que j'ai pu expérimenter dans mes rapports humains , et également par le manque de respect dont Warda fait preuve envers le consentement d'Houmam .

Mais derrière cette toile d'amour, d'amitié, de sexe et d'attentes, se révèlent des questions complexes sur les notions d'arabité, de vérité et de mensonge, sur la violence exercée envers les animaux, envers les femmes – envers les défavorisés… Honteux de l'image de « barbare » dont l'Occident revêt son peuple, Houmam permet à la lectrice blanche et cisgenre que je suis d'avoir un petit aperçu de la violence que peut représenter l'opinion public pour des personnes aux origines arabes. J'ai été très touchée par la peur et le surcontrôle que la puissance de cet opinion génère chez lui – je peux tellement le comprendre...

Jadd Hilal nous offre une conclusion en demi-teinte, jouant avec des sentiments de tristesse, de nostalgie, mais aussi de chaleur humaine. C'était une histoire intéressante par certains côtés, agaçantes par d'autres, affriolante parfois et en même temps j'ai eu du mal à croire à certaines situations.
Bon. Je suis sortie de ma zone de confort, et même si j'ai parfois été agacée, je ne peux pas dire que je le regrette : l'auteur possède une plume musicale et touchante que je serai curieuse de retrouver dans un autre contexte.
Merci à Babelio et aux éditions Elyzad pour cet envoi !
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« Le caprice de vivre » pourrait être une pièce de théâtre mélodramatique et contemporaine. Tant ce récit dans la complexité des émotions, de bruit et de fureur, de claquements de porte, de passions amoureuses, de ce désir violent est irrépressible et magistral.
Magnétique, sensuel, dans cette éclosion de trois trentenaires, deux hommes et une femme, « Le caprice de vivre » est un triptyque de prodigalité.
Vibrant, le cri de la vie, la quête d'un existentialisme qui se tisse au fil des pages.
Ici, nous sommes dans une scène de rage, politique et sociologique.
L'écriture de Jadd Hilal est signifiante, posée au plus juste, avec une maturité majeure pour la compréhension de notre monde. Des diktats migratoires, l'identité comme gouvernail. L'écriture tisse une trame qui nous revient à la figure comme un boomerang. Il sait. N'impose rien. Parle en son nom et aux peuples qui bordent ses lèvres.
C'est un livre intuitif, qui dévore les a priori. On pénètre la scène de ce trio qui vit ensemble dans un appartement à Paris depuis quinze ans. Jusqu'au jour où les chaises vont voler en éclat. Où les luttes et les évènements, les changements de cap seront le baisser de rideau.
Houmam est le narrateur, écrivain, dont ses romans « Hors-Sol » et « Jamais la nuit » eut un succès pour le moins discret. » On ressent le double cornélien de Jadd Hilal. Houmam est palestinien, bouleversé par son arabité. S'émanciper de cet étau, atteindre la rive de l'universalité. Lui, brillant, vif, intelligent, qui rassemble les fils et tisse en homme qui cherche l'air, le tracé de son advenir. Nous sommes dans une géopolitique visible à l'oeil nu. Dans le grondement d'un migrant qui veut donner la preuve de ce qui est juste et vrai. Son appartenance à lui-même et au rythme d'un pas européen. On aime ses rages, ses larmes aux yeux, son amour viscéral pour Warda, « Rose des sables ». Ses silences et ses frustrations et la narration formidablement dressée comme une toile de maître, mature et profonde.
« Pourquoi Phoriche venait-il de me refuser mon dernier manuscrit en alléguant qu'il n'était pas assez dramatique et « donc » arabe ? »
« Vous écrivez : Ce n'est pas que les pays n'existent pas, c'est que les oeuvres nous les font parfois oublier. Ces oeuvres, il faut les attraper au vol. »
Warda est un feu follet. Ravageuse, entière et engagée, dans une aura sublimée. Elle est grand reporter. Elle travaille pour le journal le Monde. «  Ses reportages sur l'EI lui avaient valu en 2016 le prix Albert-Londres pour la presse écrite. »
Elle déambule dans l'appartement en petite culotte. La pudeur oubliée, libre et désirable.
Elle vit une relation physique avec Souleymane. L'exutoire de ses reportages risqués. Elle évacue un trop plein d'adrénaline en gestuelles assumées.
Souleymane est lisse et flegmatique. Il est ami avec Houmam depuis toujours. Il passe ses journées sur le canapé devant son ordinateur. Il enquête sur les chameaux de course et les violences infligées à ces derniers. Warda, elle revient d'Irak. Elle est troublée par ce qu'elle a découvert. Son grand-père aurait fauté.
« Que, quoi, Houmam Basara ? Comment dois-je te le dire, que c'est moi qui décide ? Que ce n'est pas ton problème ? Que rendre justice à ces Juifs, attester la vérité envers et contre tout, c'est ce que je veux faire et c'est ce que je ferai ? -Mais… -Je n'attends pas de toi que tu me comprennes. »
Houmam et Warda vont être le symbole des diktats, des influences des origines. La séparation mentale et les déchirures des incompréhensions. Il devine le délitement de ce triangle entre les sentiments inavoués et les blessures incommensurables.
Comme s'ils étaient la cartographie des généalogies. Les identités floutées par les religions, par les disparités. Mais ils sont le libre-arbitre et la citadelle de leurs convictions.
« Il sait que la violence voyage, sur le dos des générations. » « Le chemin que nous n'emprunterions pas ensemble mais dont la terre, le sol, était identique. » « Je sais les conséquences qu'aurait ta révélation sur ce qu'on imagine de nous, de nous les Arabes, alors je me tais là-dessus. » « Rien ne m'est plus « étranger » que le sentiment de venir d'un lieu. »
« Le caprice de vivre » est un feu qui brusque l'entendu. Un livre de renaissance et une fresque de batailles et d'espérances. Ici, tout sonne vrai. Les tragédies pour atteindre la liberté de conscience. Les êtres écorchés vifs par les doutes et les peurs. La volonté d'atteindre les résiliences comme un pardon à soi-même. Les croisements des destinées : « Survivre ou faire survivre ? »
Le macrocosme qui brise les faux-semblants. Un livre brûlant et brillant. Comme la vie.
Publié par les majeures Éditions Elyzad.

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Le Caprice de vivre, un titre évocateur qui plonge le lecteur au coeur de l'intimité de trois trentenaires parisiens. Warda, Houmam et Souleymane.

Warda, journaliste au Monde, atterrit tout juste de Bagdad, elle revient avec une idée fixe qui va littéralement bouleverser le trio ayant pourtant survécu à une quinzaine d'année de vie commune.
Aveuglés par leur sentiments d'une vive violence, par leurs propres vérités, incapables de comprendre l'autre, ils semblent sombrer à leur indéniable perte.
L'auteur, Jadd hilal a mené brillamment cette histoire d'amour et d'amitié avec une plume acide et percutante, dévoilant ainsi ce que la passion des corps et des coeurs peut engendrer ....

La passion peut être dynamisante autant que destructrice,
Serait-ce là le reflet du monde que nous nous sommes construit ?

Merci aux éditions Elyzad et Jadd Hilal pour ce tout nouveau roman marquant la rentrée littéraire.

Lien : https://www.instagram.com/un..
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Colocataires d'un appartement parisien, trois trentenaires partagent leur lieu de vie et leur histoire depuis quinze ans. Dans leur jeunesse, ils ont fréquenté ensemble le lycée Louis-le-Grand et depuis ne se sont jamais quittés.

Houmam Basara est passionné d'écriture mais ses romans, après deux parutions prometteuses, ne séduisent pas son éditeur qui attend « le » livre qui va faire un succès. Il est le narrateur de cette histoire.
Warda Shahid est Libanaise, journaliste au Monde et se bat pour découvrir et faire connaître le rôle exact joué par son grand-père dans l'action d'Al-Futuwwa en Irak, notamment pour dénoncer ses agissements anti-sémites en 1941, lors du Farhoud (pogrom antijuif). Son projet suscite la colère, l'incompréhension, le rejet de Houmam. Les choses se compliquent du fait que Warda meurt d'envie d'avoir des relations sexuelles avec lui, relations auxquelles il se dérobe. Pour se venger - et sans doute l'exciter - Warda se livre à des séances bruyantes avec le troisième colocataire, Souleymane. Et n'hésite pas à exciter Houmam par des propos et des tenues provocantes.

De son côté Souleymane s'engage avec passion dans la défense des chameaux qu'on maltraite, qu'on transforme à l'aide de botox et d'hormones pour en faire des bêtes de spectacle.

Trois caractères bien trempés, des passions dévorantes, des relations improbables qui font qu'on se demande comment le trio n'a pas explosé depuis des années.

A la vérité, je suis restée presque jusqu'à la fin totalement étrangère aux préoccupations de ces trois personnages, à la fois agacée et fatiguée par le manque de contenu de leur pensée (y en avait-il une d'ailleurs ? le sexe est tellement omniprésent!) et par le style de l'auteur qui mêle vulgarité des images et des mots avec des phrases très bien écrites voire poétiques. le vocabulaire arabe de Warda, au fil du texte et traduit en fin de volume, est juste insupportable.

Je n'ai fini par m'intéresser à ce livre que vers le dernier quart grâce aux réflexions de l'auteur au sujet de de l'acte d'écrire, dont il situe le désir dans une image de son enfance : celle d'un petit garçon de six ans bouleversé par le spectacle d'un vieillard misérable dont le métier consiste à nettoyer la rue à l'aide d'un souffleur de feuilles.
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critiques presse (1)
LeMonde
28 novembre 2023
Jadd Hilal signe là un roman drôle-amer, porté par un héros aussi immature qu’attachant. Avec une liberté salutaire, l’écrivain explore l’ambivalence du sentiment d’appartenance – à des origines comme à une colocation de jeunesse.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
La Rose des sables
Cette histoire commence avec la découverte que fit Warda Shahid. Je me souviens du jour, de l’heure, de l'instant où tout débuta. Où nous prîmes chacun ce chemin sans retour. C'était en 2017, un soir de juillet. Je quittais les locaux de Champenel à Paris, où je venais de discuter avec mon éditeur Tristan Phoriche de mon dernier manuscrit Hors-sol, et m'engageais rue Clovis. J'étais comme après chaque refus malheureux comme les pierres.
Demeurait toujours, à trente-quatre ans, cette maudite sensation que l'écriture me faisait perdre mon temps. Plus nombreux étaient les mois que je consacrais à tel ou tel texte, plus pénible était l'amertume devant le «non». Même lorsque c'était «oui» d’ailleurs, le bonheur restait en demi-teinte. J'avais publié quelques années plus tôt mon premier roman, Jamais la nuit, qui eut un succès pour le moins discret. C'était une histoire compliquée, démonstrative, qui s'était vendue à une centaine d'exemplaires. J'avais été invité à la RCF, où un journaliste me demanda si j'avais écrit «un livre arabe ou un livre sur les Arabes» et cela fut le coup de grâce, s’il en fallait, à mes velléités littéraires.
Je me repris, curieusement, à rêver de la vie d'écrivain. C'était idiot, et on ne manqua pas de me le répéter. On me disait «tu es fou», on me disait «tu es irresponsable», on me disait «cinq pour cent! Cinq pour cent des auteurs vivent de leur plume, Houmam Basara! Et toi? Petit étranger né d’ailleurs tu crois en faire partie?» Que répondre? Comment signifier que ce n'était pas un choix? Que je ne souhaitais pas un nouveau travail, une maison à la campagne? Que je voulais seulement faire ce vers quoi tout m'arrachait aussitôt que je ne le faisais pas? Chaque film vu, chaque musique entendue, chaque livre lu. Comment dire que j'étais configuré à présent, comme un chien courant après une balle? Que c'était en somme écrire ou mourir? «Ne savez-vous pas qu'il y a le mot “vain” dans “écrivain”? Croyez-vous que je me fasse des illusions? Croyez-vous que je puisse faire autrement? Ne voyez-vous pas qu'il y a aussi le mot “cri”? Que le cri, on ne le retient pas?» C'est ce que j'aurais dû rétorquer. Mais je le dis, je suis de ceux qui échouent dans la vie. Qui s'en consolent par les mots.

Pendant que je bifurquais, désenchanté, dans la rue Descartes, je reçus un appel de Warda, Warda la «rose des sables» comme je la surnommai un jour en discutant avec Souleymane, le troisième et dernier membre de notre colocation de la rue Monge.
— Ya Allah, mais combien de fois il faut que je t'appelle pour que tu décroches, Houmam?
C'était un ton auquel elle m'avait habitué. Elle téléphonait à toute heure, en tout lieu et s’indignait quand nous ne lui répondions pas. Ce jour-là, notre conversation dura peu. J'eus seulement le temps de comprendre que son avion depuis Bagdad venait d’atterrir à Charles-de-Gaulle et que Souleymane et moi avions «intérêt à être là», que nous n’allions «pas en revenir». Je ne mesurais pas, ce soir de juillet, à quel point cela serait juste, à quel point nous ne reviendrions en effet jamais, à ce que nous étions. À quel point les trois bateaux de nos vies prendraient le cap vers une terre nouvelle, d'où ils ne feraient marche arrière.
Ce fut pour cela que je ne pris pas l'appel de la rose des sables au sérieux. Je l’oubliai dès que nous raccrochâmes. J'avais l'habitude de ses effets d'annonce. «Tu n’en croiras pas tes yeux», «tu ne verras jamais rien de pareil», tout était toujours «important», «capital», «essentiel». Ce soir-là, ce n’était rien d’autre que le néon bleu d'un strip club, sobrement nommé Le Divan, qui jeta mon devoir de présence aux oubliettes.
La fameuse circonstance baudelairienne. J'y croyais dur comme fer. Je quêtais, depuis des mois, chaque occasion qui me poussait à prendre telle rue, tel métro. Pourquoi? Pour y trouver de l'inspiration pour écrire, un peu ; pour combler l'ennui, beaucoup. Cette fois-ci, le lapin blanc fut justement un livre de Baudelaire, les Tableaux parisiens, que tenait un homme s'engageant dans le club. Je le suivis et descendis des marches éclairées de rose. La moquette rouge au sol atténuait le bruit de nos pas et le tumulte de la rue extérieure se tut, pendant que nous processions l’un derrière l’autre. Arrivé en bas, je me réfugiai immédiatement sur un tabouret du côté du bar, d’où je fixai mes chaussettes. Quelle idée. Moi Houmam, dans un club de strip-tease? Moi, dont le cœur et les couilles sont prises par celle à qui je ne pus jamais rien dire d'autre que mon silence?
— Je vous sers quelque chose ?
Je levai la tête. Pas assez. Mon regard s’accrocha au haut Pink Floyd que remplissait la généreuse poitrine de la barmaid, et n'y échappa plus. Elle dut réitérer sa question pour que je la regarde dans les yeux, qu'elle avait noirs et fardés. Je ne répondis pas. Sans doute comprit-elle que j'étais sur le point de partir, de regagner le monde de là-haut, le monde extérieur. Ce monde de la pilule bleue, ce monde qui donne les moyens aux froussards comme moi de survivre paresseusement.
— Sers-lui un scotch sur ma note, ya Noura. La voix provenait de l’homme sur le tabouret à côté de moi. De son apparence, je me souviens seulement d’une tête large, aux cheveux courts et à la barbe drue. Le reste disparut, se volatilisa comme la vapeur des scotchs, nombreux, qui se succédèrent.
— Quand es-tu rentré d’Irak, Chaouki ?
Ladite Noura s'était adressée à lui en arabe, à quoi il rétorqua en français :
— Ce matin. Je ne veux pas en parler.
— Pourquoi ?
— Tu travailles.
Noura soupira, pendant qu'elle essuyait un verre avec son torchon à carreaux. Elle balaya l'air de la main pour toute réponse. Ragaillardi par l'alcool, je suivis son geste des yeux. La salle était vide, à l'exception de deux types assis, de dos, sur des chaises en plastique. Je ne voyais d'eux que leur calvitie, qui les faisait ressembler à deux choupissons. Sur l’estrade en face, une rousse marchait de gauche à droite, baladant des seins opalins, entre lesquels un collier s'engouffrait.
— Tu ne veux pas en discuter ?
— Noura, fous-moi la paix. Il vaut mieux oublier parfois, que de subir le passé comme tu le fais.
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Warda, Souleymane et moi prenions. Il me fallait trouver Rome. Notre Rome, à tous les trois.
Je me mis à écrire. Je me mis à cette histoire que je raconte ici. Celle de notre trio d'amour et d'amitié, qui se séparait petit à petit et que je décidai de réunir tant bien que mal par mes mots. C’était surtout l’éloignement de Warda que j'essayais de conjurer, l'éloignement de ma rose des sables que j'aimais à en crever la bouche ouverte et pour laquelle je craignais de devenir un étranger. Je ne pouvais en vouloir qu'à moi-même. J'avais été un odieux paternaliste, pas vrai, à la juger, elle et ses recherches. Aussi paternaliste que tous ces types qui avaient passé leur temps à lui donner des leçons. Au cours de notre première année à Louis-le-Grand, il y eut déjà ce Brice qu’elle fréquenta et qui consacra des heures entières au Troquet des cœurs à ergoter sur l'importance de l'amour, du couple, de l’horizon à deux pour s'envoyer en l'air. Warda en vint un soir à lui hurler qu'elle ne désirait rien de plus que sa «bite», et l’homélie reprit de plus belle. Sa «bite», ne le saisissait-elle pas, n'était que «l'aboutissement». p. 86-87.
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Il y a de quoi être emmerdé de ce que cette affaire sur mon grand-père montrerait du Moyen-Orient, d’accord. Mais fermer sa gueule comme tu le fais ? Tu ne vois pas à quel point c’est lâche que tu n’écrives pas sur des cruautés de ce genre, plutôt que sur notre trio dont tout le monde s’en fout.
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- La mort, la mort... Il n'y a pas que la mort dans la vie.
Elle rit à sa tautologie.
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C'est ainsi, nous ne sommes que ce que nous avons été, le reste n'est que désir.
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