-Et pourquoi avez-vous appelé votre organisation souvenirs ? La CEDE ne s'attaque pas à la mémoire .
-Si de façon indirecte en empêchant certaines neurotransmissions,l'oblitération de la douleur déconnecte les souvenirs qui y sont associés
Depuis l'accident, j'ai plusieurs bleus sur les bras et sur les cuisses. Je les observe souvent quand je m'ennuie. Je les regarde évoluer chaque jour. S'étendre, changer de nuance, puis diminuer. À mesure qu'ils disparaissent, j'ai le sentiment qu'ils pénètrent en moi. On ne les voit plus à l'extérieur car ils ont colonisé l'intérieur. La peau n'est plus bleue, c'est l'âme qui le devient. Je souffre tant que je deviens bleue de l'âme, sans que cela soit visible. Pour que cela se voie, il faudrait créer le mot-clé : #bleue !
- À partir de quel moment peut-on savoir qu'un bien devient un mal ? ai-je demandé.
- Quand il porte atteinte à notre humanité, a répondu Mme Tibaut.
Je réalise que je ne connais pas de définition claire de ce mot : humanité. Peut-être qu'on ne peut le déterminer que par opposition à son contraire : inhumanité ?
C'est cela, être vivante, m'explique-t-elle. Vivre des événements marquants, quels qu'ils soient. Douloureux ou joyeux. Vivre sa vie. Tout simplement.
- Certains chercheurs voulaient tout oblitérer, même l'événement lui-même. On a au moins réussi à imposer que la mémoire du traumatisme ne soit pas effacée et qu'elle soit matérialisée par un point bleu. Sinon, c'est toute une histoire individuelle qui partait en fumée...
- C'est nous, les sauvages. Nous perdons notre humanité. Et que faisons-nous de vous, les jeunes ? On vous empêche de grandir et de mener une véritable vie d'adultes. Pas de souffrance, surtout ! Vous ne connaîtrez jamais la vraie vie, celle où l'on souffre, mais aussi où l'on aime vraiment, où l'on s'attendrit, où l'on s'entraide. Et vous ne vous apercevrez de rien.
Chacun peut être heureux de sa place dans la société, car celle-ci a besoin de diversité.
Souviens-toi que tu es un humain.
Souviens-toi de ce que cela signifie.
Souviens-toi qu'être humain n'est pas facile, mais que c'est la plus belle chose qui soit.
En empêchant certaines neuro-transmissions, l'oblitération de la douleur déconnecte les souvenirs des sentiments qui y sont associés. Dépourvus d'affects, ces images, ces sons, ces odeurs qui devraient être chargés de réminiscences se trouvent isolés, sans toile de fond.
Quelque chose en moi se réveille avec une souffrance presque intolérable. J'étais censé ne plus souffrir....Cela fait si mal, et j'ai l'affreuse sensation de ne plus maîtriser mes émotions. Mais pour rien au monde je ne souhaite à nouveau oblitérer cette douleur. Elle doit faire son chemin en moi, je le sens, c'est une nécessité. Il faut à tout prix que je la cache afin qu'on ne m'oblige pas à repasser en CEDE.