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Critique de Yuyine


Marek Hłasko, auteur polonais renommé mais méconnu en France, a écrit de nombreux livres se déroulant dans les pays où il résidait, exilé involontaire de la Pologne pour son opposition au communisme. La Mort du deuxième chien, écrit en Israël, a été publié pour la première fois en 1965 et est aujourd'hui enfin traduit en français chez Mirobole éditions. Qualifié de « Kerouac polonais » et présenté comme oscillant toujours entre réalité et fiction, que nous vaut cet auteur d'une génération d'incompris et de révoltés ? Il est le fondateur de la nouvelle collection Horizons blancs pour la littérature contemporaine chez Mirobole.
Plus qu'un Kerouac polonais, même si il y a incontestablement un côté beat generation assez prononcé chez Marek Hłasko, je le comparerais plutôt à James Joyce et notamment à son oeuvre majeure, Ulysse. Pour ceux qui ne connaissent pas Joyce, il me serait difficile de vous le résumer mais on y retrouve une volonté de briser les mensonges en nous les mettant en avant, une certaine révolte puissante mais contenue dans les mots et surtout entre les lignes, un sentiment de frustration, quelques longueurs, voulues et intensifiant un récit complexe et pointu qui n'est pas forcément là pour distraire mais pour amener à une réflexion. Je ne connaissais pas Marek Hłasko avant de lire la très bonne préface du traducteur Charles Zaremba qui nous dresse le portrait d'un incompris, d'un exilé involontaire, d'un homme frustré dont la mort est arrivée bien trop tôt (à l'âge de 35 ans). Cette introduction édifiante m'a permis de savoir dans quoi je m'embarquais avec La mort du deuxième chien, à savoir un récit qui relève de l'absurde et qui cherche à interroger la frontière fiction/réalité. Sans ça, très honnêtement, je serai quasi-certainement passée à côté du texte. Car oui, La Mort du deuxième chien n'est pas à lire comme on lit une histoire romanesque classique, il y a de l'absurde, pas forcément de but dans l'histoire, c'est « bête et méchant » comme on dit, et si on ne porte pas le récit à un niveau de réflexion plus élevé, on passe à côté. Un peu comme chez James Joyce finalement, sauf que là c'est nettement plus court, le récit faisait un peu moins de 200 pages (en comparaison, Ulysse avoisine les 1000 pages).
Nous suivons l'histoire de deux escrocs qui se veulent artistes et qui, par des situations complètement scénarisées à l'avance, séduisent des femmes pour leur extorquer de l'argent. Leur méthode est une vraie pièce de théâtre, avec tout ce qu'il peut exister de dramatique et même une fin en apothéose. Par cette histoire un peu folle, Marek Hłasko interroge la fausseté, les mensonges, le masque de la société et tous ses faux-semblants. On y ressent, entre les lignes une profonde frustration de ne pas être cru, de ne pas être écouté, et notamment dans son pays où il ne peut plus se rendre. Son écriture est à la fois très distante et révoltée et nous dresse un récit digne des pièces de théâtre de l'absurde à la Beckett (les échanges entre Robert et Jacob ont fait écho en moi aux personnages d'En attendant Godot). Entre réflexion philosophique et littérature contemporaine beat generation, Marek Hłasko atteint une apothéose dans le récit vers la page 150, lorsque Jacob réfléchit à la Pologne, à l'histoire, au communisme et souligne alors l'absurdité même de notre histoire et de l'humanité. C'est à ce moment- là, tout proche de la fin, que le récit a pris pour moi une dimension nouvelle et toute sa valeur.
Je n'ai pas eu de coup de coeur pour La mort du deuxième chien pour plusieurs raisons. La première et la plus évidente, je ne suis pas une férue de littérature contemporaine. Et si j'apprécie l'absurde, j'ai besoin d'actions, de suspens, etc. Je constate malgré tout la qualité de l'ouvrage mais ce n'est tout simplement pas pour moi. le côté pointu n'est pas spécialement ce que j'avais envie de lire à cette période fort chargée, j'avais besoin de me distraire, de me détendre en déconnectant mon cerveau et j'ai donc trainé un peu le livre pour me le réserver aux quelques minutes par jour où mon esprit était encore apte à réfléchir. J'aurai aussi aimé qu'il y ait plus contexte, plus de bases car on se retrouve lâché dans l'histoire de but en blanc. Et si Israël se devine, j'avais envie d'avoir plus de descriptions, plus de longueurs pour ne plus juste percevoir le pays mais en savourer l'ambiance. le fait qu'il n'y ait pas vraiment d'aboutissement, comme dans tout bon récit absurde est aussi très frustrant pour moi et même si je comprends pourquoi, je reste un peu sur ma faim.
En bref, La Mort du deuxième chien est un récit atypique, mêlant l'absurde, un scénario « bête et méchant » et pourtant porteur d'une réflexion quasi philosophique sur le théâtre qu'est la vie. C'est un livre très proche de la beat generation et de James Joyce, avec un soupçon de Beckett. Ce n'est pas forcément une lecture « divertissante » dans le sens où elle demande une réflexion pour apprécier l'oeuvre mais elle a le mérite de nous faire enfin découvrir cet auteur polonais au destin atypique.
Lien : http://yuyine.be/review/book..
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