🌷 « Ma gorge est sèche. Les paroles me font mal. Des sanglots montent du fonds d'un puits. Je les bloque à mi-course.
- Maman, tout le monde t'aime. Tout le monde pense à toi.
Je ne dis pas que moi, je t'aime. Pas devant les deux femmes. Ni devant toi. »
(P.46)
🌷 Elle la regarde et note le teint pâle, jauni, malade. Alors qu'elles jouent aux cartes, chez sa mère, comme à l'habitude, il semble que cette fois la narratrice s'inquiète, ce visage qu'elle connaît si bien, différent ; cette lueur dans les yeux, absente ; le teint jadis porcelaine, effacé. Il suffit d'un rendez-vous chez le médecin pour que l'espoir s'amenuise : il faut opérer sa mère, sa santé se détériore, aucune marche arrière n'est possible. Désormais, les murs d'un blanc clinique forment l'ultime horizon, avec pour seul leurre, cette fenêtre qui donne sur un parc, un immense arbre probablement plus que centenaire, âge que la mère de la narratrice contemplait avidement.
🌷 Les analyses s'enchaînent, les diagnostics aussi, un amoncellement de malchances, d'erreurs. Les mots que la mère aimait tant, les concours et les mots croisés, les victoires et les coupes, les voyages qu'ils permettaient, ces mêmes mots à présent viennent à manquer. La fille est démunie face à la mère qui s'échappe, face aux paroles jamais prononcées, aux sentiments jamais avoués, aux regards toujours de biais. Dans cette chambre aseptisée, antichambre d'une fin annoncée, la femme redevient la fille docile, à attendre l'amour d'une mère qu'elle n'a jamais reçu. Jusqu'au dernier souffle, la mère retiendra tout, sans ne rien donner…
🌷
Décidément je t'assassine est un récit aussi triste que doux, aussi impertinent que mélancolique. L'amour d'une fille envers sa mère, indicible, le besoin de dire, insatiable : récit des mots qui s'emmêlent et qu'on n'ose prononcer, la peur de l'indifférence, de l'incompréhension. Balayées par la mort, les craintes s'envolent et laissent place aux regrets, aux remords de n'avoir pas dit, pas fait, pas tenté. Au creux de soi et parmi les objets qui restent encore, subsiste un sentiment d'inachevé que rien ne pourra jamais atténuer. Un récit d'une justesse implacable, qui, paradoxalement, respire la soif et le bonheur de vivre.